الاثنين، ١ كانون الثاني ٢٠٠٧

Les "i" sous les points

Les I sous les points

I comme Image

Un jour , au cours d’une explication sur le sens des traces visuelles, je voulais expliquer à mes élèves que les images ne sont visibles que lorsqu’elles ont déjà fait l’objet d’un signalement initial. Pour voir une image il faut y avoir été initié, car seuls les initiés sont capables de voir les images et de transmettre leur présence en y initiant d’autres. Sinon, la visibilité des images est perdue dans une anarchie totael où chaque image oblitère les autres mutuellement.
J’ ai donc dit aux élèves que je n’avais jamais resisté à voir l’image d’un escargot dans la forme majuscule de la lettre Q. Ensuite j’ai calligraphié, devant eux, la lettre
« Q » en capitale romaine de manière à ce que la trace ressemble au logo de « Quick », le celébre restaurateur du Fast Food. En ajoutant deux traits en guise d’ antennes sur l’ extrèmité de la queue de la lettre Q, j’ ai dit aux élève avec fierté:
- Et maintenant, comme je vous ai signalé la présence de l’ escargot dans la lettre Q , la prochaine fois que vous verrez le logo de « Quick » vous ne pourrez pas ne pas y voir mon escargot !
-Mais , monsieur on peut y voir autre chose aussi, a dit alors un elève du fond de la salle.
-Quoi ?
-Moi j’ y vois un Esquimau.
La réponse a provoqué l’hilarité de toute la classe.
-Comment ? lui ai-je demandé en lui tendant mon calame.
Avec une grande assurance, l’élève a pris le calame et a introduit trois traces simples représentant les yeux et le né dans le cercle de la lettre. Du coup, l’escargot a disparu et nous avons aperçu le visage d’ un Esquimau portant capuchon et écharpe au vent.
Cette anecdote visuelle nous a permis de conclure sur quatre choses :
1- Une image peut en cacher d’ innombrables autres.
2 – Il y a autant d’ images de de regards possibles.
3- Voir les image est une question d’ initiation.
4- Comme on ne peut voir qu’une image à la fois, le regard devient un enjeu de pouvoir car celui qui a interêt à ce qu’on voit l’escargot est prêt à entrer en conflit avec ceux qui voient l’Esquimau ou d’autres images.

I comme Butin de guerre :

« French language is a war booty !” , said Katib Yacine, the Algerian writer, to his patriotic algerian friends who blamed him for writing in French,considered as the language of colonizers.This brilliant idea of sharing the war booty between the winners and the losers of the colonial war perverts the whole cultural configuration of the world built by european colonialist and imperialist undertakers from R. Kipling to S. Huntington.To extend Yacine’s idea , I would say : the whole european cultural tradition is a war booty in which I situate myself as a legitimate heir to all the human cultural fortune that the european tradition could encompass, including non european traditions. Being the heir of the european cultural tradition is also a big risk because from time to time you discover a skeleton in the cupboard!So you have to be critically attentive to the nature of your inheritance because you can not choose among what anonymous people might have bequeathed to their anonymous heirs !the moment for a choice arrives afterwards.I think this is what I am trying to do through my way of being in the world.I am trying to choose life against death and it is not that easy . I think life and death are equally incorporated in the objects of our inheritance.In this connection I see my paintings as an attempt to work out a human personal choice.We get caught every day in the deluge of propaganda images invading our vital environment.I just can’t close my eyes( even if I do I will keep seeing images!), so , I keep my eyes open to each and every kind of images with the intention to render them back to the world, image for image and eye for eye.

I comme Identité :

Connaissez-vous l’histoire de ma grand-mère, de sa chèvre et de l’expert international ? C’est une histoire africaine qui pourrait bien expliquer pourquoi le monde n’est plus ce qu’il était.
C’est l’histoire de ma grand-mère qui ne possédait qu’une chèvre pour se nourrir. Or, un jour, cette chèvre trouve de la nourriture dans une petite jarre en terre cuite. Voulant manger cette nourriture, la chèvre introduit sa tête dans la jarre. Mais comme l’ouverture est étroite, la tête de la chèvre reste coincée dans la jarre. Pour essayer de se dégager, la chèvre secoue sa tête dans tous les sens. Voyant cela, la propriétaire de la chèvre qui voudrait délivrer sa chèvre, récupérer la nourriture et sauver la jarre, attrape la chèvre, et avec l’aide de tous ses voisins, venus lui porter secours, tente de sortir la tête de la chèvre de la jarre. Mais rien à faire !
Le chef du village a alors une idée intéressante : « Ce qu’il nous faut, c’est l’expert international. Il a des solutions à tous les problèmes ! »
La grand-mère envoie donc son fils ainé chercher l’expert international. C’est un expert qui a été chargé par l’ONU de mener dans cette région un PDRD (Programme de Développement Rural Durable). Mais comme il ne parvient pas à mener son PDRD, l’expert essaie de se rendre utile en devenant un HATF « homme à tout faire » .
L’espert arrive donc, examine la situation, manipule la tête de l’animal sans résultat, puis après réflexion, fait part aux villageois de la solution trouvée : « Coupez la tête de l’animal à cet endroit ! » dit-il en montrant la partie supérieure du cou de la chèvre. Perplexes mais confiants, les villageois s’exécutent. La tête de la chèvre est donc séparée du corps, mais elle est toujours dans la jarre ! L’expert tente de l’extraire mais n’y parvient pas. Les cornes entravent l’extraction de la tête. Les gens regardent la chèvre morte et se retournent vers l’expert. Que faire ?
L’expert réfléchit quelques secondes puis lance : « En fait, pour sortir la tête de la jarre, il suffit de casser la jarre ! » Sur ce, il s’empare de la jarre et la jette violemment par terre. La jarre éclate en morceaux, la nourriture est déversée par terre et la tête de la chèvre roule sous le regard abasourdi de ma grand-mère.
Si je vous raconte cette histoire , c’est pour dire que mon identité culturelle d’Africain est faite de tout cela à la fois. Si vous l’examinez de près, vous y trouverez la famille, la communauté rurale, la perplexité devant les questions du sous-développement, la chèvre morte à cause de l’expertise internationale, la jarre cassée, la nourriture déversée et la famine qui nous guette en permanence.
Mais si nous examinons votre identité culturelle d’Européens, nous allons y trouver la même chose ou presque : les Européens du XXème siècle ont connu la mort de Dieu, la fin des Utopies de partage, les mass-media, les massacres génocidaires et la manipulation génétique.
Si nous prenons l’exemple d’une grand-mère française, nous constatons que cette brave dame a survécu pour constater que la France, sa patrie, est en train de perdre ses frontières historiques pour éviter de disparaître dans le ventre des ogres globalisants. Elle découvre que des experts européens ont signé en son nom un certain nombre de conventions et de traités comme le AGCS (Accord Général des Commerces et des Services) qui risquent de privatiser l’éducation, la santé, la sécurité, voire même la justice …etc Elle découvre également qu’aujourd’hui la manipulation génétique qui peut l’autoriser à porter un enfant dans son ventre, peut aussi modifier – à son insu – la nature des aliments dans son assiette. Bref, la géographie physique, politique et spirituelle que les Européens ont connue depuis le Moyen-Age est en train de disparâitre au profit d’une nouvelle géographie incertaine et inquiétante.
Ainsi si nous comparions la situation de nos grand-mères africaines et européennes, nous constaterions facilement qu’elles sont toutes deux dans la même détresse. Je dirais même que la détresse de ma grand-mère africaine est plus grande encore lorsqu’elle entend sa voisine européenne lui dire : »Tu devrais faire gaffe à ton identité ma chère ! »
« Identité toi-même …ma chère ! » ne manquerait pas de répliquer ma grand-mère africaine.







I comme Abus de pouvoir :
Qui définit les catégories des objets? Nous sommes bien loin de l'époque où l'autorité morale d' un artiste (Marcel Duchamp) suffisait pour métamorphoser un objet quelconque en "oeuvre d' art". La raison du marché ne tolère plus les turbulences des artistes, car les enjeux sont trop importants pour qu'on puisse confier le statut des objets du marché de l'art aux artistes. C' est désormais une tâche pour "les professionnels"!
Mais qu' est-ce-qu'un "professionnel de l'art"? Un "curator" (en anglais). Etymologiquemont le "curator" est celui "qui prend soin" ou " celui qui a la charge d'assister un mineur..", c'est aussi un homme d' église : un "curate". Si dans l' emploi du terme " curator" on retrouve toutes les variations du sens qui évoquent une figure de pouvoir au croisement du symbolique et du juridique, c'est que ce personnage, relativement nouveau sur la scène de l' art, est en train de bouleverser la hiérarchie classique des acteurs de la scène artistique. L'importance croissante du personnage, qui quitte le rôle de coordinateur pour celui d'idéologue, si non de "Petit Dieu", pourrait s'expliquer par le développement spectaculaire des grandes manifestations artistiques. En effet, les expositions, foires, festivals et biennales de l' art contemporain sont devenus des évènements à résonnance médiatique trés forte. Or, par le biais de la médiatisation, ces manifestations "artistiques" se métamorphosent en plate-formes politiques portées par l'innocence et l'élégance de l'Art. Si on examine de près la qualité des mécènes et sponsors qui soutiennent les grandes manifestations de l'art contemporain on comprend facilement que l'espace de l'art n'est pas à la portée de "n'importe qui". La situation actuelle semble marquée par une relation d’interdépendance entre le volume de la manifestation artistique et l'ambition politique du mécène. L'importance médiatique des manifestations artistiques semble être un bon "appât" pour motiver les" gros" mécénes, mais le curator qui gère une exposition de cent artistes devient sûrement plus important que chacun de "ses" artistes. Dire que les artistes sont devenus moins importants que les curators ne représente pas un jugement de valeur sur la qualité de leur production, car le débat en cours dans ces manifestations ne porte pas sur la singularité de l'artiste en tant que créateur. Non, la montée fulgurante des curators pose des questions sur la qualité intellectuelle des "Big show" de l'art contemporain et sur leurs conséquences politiques.

I comme Intégré :
Avant, avant de venir en France, je me considérais comme artiste. Mais quand je suis arrivé en France je suis devenu « Artiste Africain » . Non pas par ce que la qualité d’artiste africain se présentait comme une option parmi d’autres mais par ce que l’espace de l’art contemporain est configuré sur des catégorie ethniques (Voir « Le rapport disparu » d’Alain Quemin, 2002). Ainsi quand on n’ a pas la gueule d’une banane française , par exemple, on ne risque pas d’ aller représenter l’art français à l’étranger (quel étranger ?)
Je pense que les artistes contemporains nés en Afrique, deviennent "artistes Africains" quand les Européens, qui ont le pouvoir de définir qui est africain, les désignent et les invitent en tant qu'"artistes africains". En fait, la désignation des artistes comme Africains est une attitude arbitraire qui ne se justifie que par la volonté de certains mécènes européens de disposer d'une catégorie dite "Artistes africains", à l' image des bananes dans ce conte africain où un enfant africain qui mangeait une banane interrogea son grand père: -Dis, grand père, pourquoi appelle-t-on banane ce fruit que nous mangeons? Le vieux sage réfléchit un peu avant de répondre: -Mais voyons mon enfant, d'abord parce que cela a l’aspect d’une banane, il a aussi la couleur et la saveur d’une banane et d' ailleurs tout le monde l'appelle banane! Le fait que les artistes désignés comme artistes africains ne forment pas une réelle catégorie référée à l' Afrique ne signifie pas qu'ils ne forment pas de catégorie du tout! Ils forment une catégorie encore plus intéressante, celle des artistes exclus de ce qui est considéré comme l'art contemporain officiel: le "Main stream art"! Ils sont "intégrés" au système mais en tant que parias, en tant que "hors caste"! Ils sont même nécessaires au système car, d'une certaine manière ils justifient le classement hiérarchique des produits culturels extra-européens par rapport à l'art des Européens.

I comme Exclu :
Pour trouver un statut réel à ces artistes originaires de l'Afrique, il convient donc d' oublier la géographie politique du XIX° siècle pour se situer dans une géographie morale d' aujourd'hui où les artistes africains sont tout simplement des exclus de la version européenne de la modernité. Ils ne sont pas les seuls et ils le savent. Cette conscience d' être "des exclus" représente, à la fois, leur faiblesse et leur point fort. D'une part, parce que dans le partage actuel des biens de la modernité, on ne leur offre que de misérables miettes qu’il vaut mieux ne pas dédaigner; mais, d'autre part, cette conscience d'être des exclus du monde moderne signifie qu’ils sont dans le monde moderne, même s’ils savent qu’ils survivent dans la misère du monde moderne, sa face sombre , son continent noir. Mieux (ou pire!) encore, ils savent que leur salut est dans la modernité, mais une modernité guérie des maux du marché. Mais comment guérir la modernité des maux de marché? Je n'en sais rien moi et qu'est ce que vous en savez vous? Je vous pose la question parce que la tâche de guérir la modernité des maux du marché ne concerne pas que les Africains. Cependant cette ambition de réparer la modernité n'est pas donnée à tout le monde, il faut y voir un intérêt. Cette attitude de croire en la sauvegarde de la modernité positionne les exclus, tous les exclus quelles que soient leurs origines ethniques, comme des héritiers légitimes de la modernité. Ainsi, moi, artiste né en Afrique, je revendique le statut d' artiste moderne libéré des fardeaux ethno-esthétiques et des fantasmes que les Européens projettent sur les personnes originaires du monde extra européen.
Je sais qu'en revendiquant le statut d'" artiste tout court" je risque de me faire expulser de la petite scène artistique reservée aux artistes africains et de me trouver noyé dans la masse d' artistes anonymes qui ne disposent que de leur créativité pour se faire remarquer, ce risque là me semble celui des créateurs qui assument les conséquences de leur libre choix.
Mais les choses ne sont pas si simples car si en tant qu'artiste "tout court » je tiens à être sur le terrain de l'art africain, ce n'est pas seulement une stratégie individuelle de survie, car ce terrain dit de l' art africain est loin d'être un terrain d' art uniquement. En effet derrière la façade c’est un champ d'action politique où de multiples forces se disputent la part africaine.
Je ne suis pas un paria inclu dans la marge du "main stream art", je suis plutôt un paria qui s'incruste dans le système en connaissance de cause. La cause politique bien entendu, seule cause valable pour les partenaires européens (et africains?) de l' art africain.