الاثنين، ١ كانون الثاني ٢٠٠٧
Comment expliquer l'Artafricanisme à vos filles?
Comment expliquer « L’Artafricanisme » à vos filles ?
Le 12 fevrier 2005- je me suis trouvé dans un sous-sol du British Museum avec une foule d’ enthousiastes amateurs d’art africain contemporain. A l’instar des artistes qui participaient à «Africa 05», évènement qui contenait, entre autres, l’exposition «AfricaRemix», je bénéficiais d’un temps pour projeter mes peintures et répondre aux questions du public. Un artiste nigérien dit « le Junkman », me demanda : « Je voudrais savoir quel genre de rêves vous faites ? »Je tentai d’esquiver la question, mais « Junkman » insista et le public se montra impatient de connaître le genre de rêves que je pourrais revéler. Pourquoi diable irai-je raconter mes rêves à des anonymes qui s’intéressent à l’art africain contemporain ? Parce que je suis artiste africain ? To hell with african art ! Primo je ne suis pas «artiste africain» et je ne me sens ni exilé ni diasporisé. Secundo je ne suis pas «artiste femme», tertio je ne suis ni«artiste de l’Apartheid », ni «artiste postcolonial». J’étais venu pour transmettre mon expérience d’homme et mon savoir d’artiste faiseur d’images. Je ne suis pas venu pour exhiber mes blessures afin que les gens qui ne peuvent pas - ou qui ne veulent pas- s’avouer les leurs puissent contempler la spécificité exotique des blessures africaines. Dans ce terrain de l’«artafricanisme», (traduisez : de l’art africain pour Européens comme quand vous dites : de la nourriture pour chiens), les artistes africains sont systématiquement priés de montrer leurs blessures identitaires. Ainsi pendant les seminaires du British Museum organisés lors de cette manifestation, le thème central était L’Art et l’Identité, mais la problèmatique question de l’identité était posée, non pas comme un souci partagé par tous les contemporains, mais en tant que « truc » des Africains. Il m’a toujours semblé suspicieux de voir des Européens plus soucieux du sort de l’identité africaine que les Africains eux-mêmes. Je parle de ces Européens qui ont découvert tardivement que la globalisation du marché les met face à des ennemis d’Occident(USA) et d’Orient(Chine Turquie etc) à la fois. L’identité africaine fonctionnant comme un miroir qui permet aux Européens de regarder leur propre crise identitaire tout en faisant semblant de s’occuper de celle des Africains. Est ce une explication pour l’adhésion spontanée du public à la demande impudique du « Junkman »? Désolé mon frère mais je ne vous montrerai pas mes blessures et je ne veux pas voir les votres.Ce sont les mêmes. La priorité du moment est de désamorcer les bombes de la guerre mondiale des civilisations que les puissants de ce monde ne cessent d’annoncer à chaque conflit pétrolier .La plus efficace parmi ces bombes semble être celle de l’identité culturelle. C’est une bombe bon marché que l’on active par la fétichisation de certaines blesseures identitaires des uns ou des autres. Il existe un business de l’identité africaine, entretenu par de nombreuses institutions culturelles issues des pays de l’OTAN ainsi que par des personnes impliquées dans les pratiques artistiques, y compris par un certain nombre d’artistes africains. Dans ce genre d’évènements, les artistes africains ont le statut de citation qui renforce le propos des mécènes artafricanisants (Total qui sponsorise « Africa Remix » n’est qu’un exemple parmi d’autres).
Un bon spectacle artafricaniste qui pourrait s’intituler:«Vise ma blessure», nous a également été offert le vendredi 11 fevrièr par trois personnes définies comme «artistes femmes africaines». Ainsi nous avons eu sur la même scène Tracey Rose, Ingrid Mwangi et Zineb Sedira. Le débat était présidé par une autre femme –une curator africaine , Gilane Tawadros et fut commenté par le curator helvérique S. Njami qui qualifia les trois artistes de «the girls»ce qui lui valut la protestation houspilleuse de T. Rose. J’ignore la logique du casting qui a autorisé les programmateurs des séminaires à présenter Rose, Mwangi et Sedira ensemble, mais ce n’est sûrement pas un hasard. En effet ce choix convenait à l’esprit du thème de la rencontre « Art et Identité » d’autant plus que les trois artistes retenues se prêtèrent efficacement à l’exercise attendu : Exhiber les blessures les plus complexes de la modernité.Car lorsque vous êtes identifiés comme africain, femme et artiste, vous vous trouvez pris dans trois pièges confortables. Le premier concerne la désignation d’«africain» qui vous assigne une blessure précieuse aussi large que la réalité coloniale. Si vous ne voulez pas porter la blessure coloniale africaine par ce que, vous personnellement, n’avez pas expérimenté la colonisation, vous pouvez alors emprunter l’expérience de vos proches. Ainsi Z.Sedira, artiste française, née en France de parents algériens, nous invite dans sa famille pour exhiber sa blessure de guerre coloniale par parents interposés. Si vous parvenez à déjouer ce premier piège vous aurez besoin d’une grande ruse pour échapper au second, celui de la blessure « féministique ». Etre une «femme artiste»est un acte héroïque dans un monde de l’Art contrôlé par les hommes. Etre femme artiste n’est pas seulement une autre précieuse blessure à montrer, mais c’est aussi une blessure qu’on ne peut pas cacher.Un fardeau que toute femme (ou tout homme)ne peut esquiver. Est ce suffisant pour inciter les femmes à faire de l’art une pratique martiale, voire de la boxe comme le fait T.Rose ?
Le troisième piège qui guette les femmes artistes, les femmes le partagent avec les« hommes artistes» qui, pourtant,se font appeler «artistes»tout court.Il s’agit du fait même d’être désigné comme «artiste».Aujourd’hui,être identifié comme artiste par les professionnels de l’art plonge l’artiste dans un dilemme embarrassant entre l’artiste qu’il souhaite être et l’artiste auquel on l’assigne à être, selon les catégories disponibles dans les projets des mécènes. Dans cette confusion, certains penchent à gauche comme d’autres penchent à droite mais peu osent négocier avec des puissants curators qui sont,en effet, de petits dieux.
Quand j’ai interrogé T.Rose pour savoir si elle se considérait comme «artiste sudafricaine», elle a répliqué avec étonnement :«Non,l’Afrique du Sud est l’endroit où je réside». Quant à I.Mwangi qui se partage entre le Kenya et l’Allemagne, elle se désigne comme «négresse allemande»- et non comme «kényenne blanche»- En effet elle est de père kényen et de mère allemande.Ce hasard existentiel lui offre le privilège de dessiner, sur son propre corps, les blessures raciales d’une «German Nigger» dans le prolongement d’un racisme allemand initié par Hitler.
Toutes ces blessures africaines s’accordent pour montrer ce que les Américains désignent par « the real thing», la réalité telle qu’elle est. Ce souci de faire un show de la réalité place l’artiste africain dans une posture pornographique devant un spectateur européen métamorphosé en voyeur occasionnel.Cette relation est troublante tant elle restitue ce regard que le public européen des foires du xix° siècle posaient sur des Africains comme la Vénus Hottentote ou les familles Ashanti dans le zoo parisien .
Bien entendu la différence entre les locataires des zoos humains et les artistes africains est que ces derniers ne sont pas contraints de montrer leurs blessures intimes au public des voyeurs.
(texte publié dans la revue Art21, N°3, 2005)