الاثنين، ١ كانون الثاني ٢٠٠٧

Black Paris




Black Paris

REPONSES AUX QUESTIONS DE KERSTIN PINTHER



1 « Black Paris » - « Paris Black » - carrefour de rencontre de l’histoire de l’art et des idées du 20è siècle, lieu réel, lieu imaginaire – quelle est votre perception du thème de l’exposition ?

2 Entant qu’artiste et historien de l’art vous avez fait des analyses assez pointus et provocatrices de la notion et du discours autour de « l’art contemporain africain ». Dans ce contexte vous avez développé le concept de l’Art-Africanisme. Est-ce que vous pouvez en résumer les points centraux ?

3. Comment voyez vous le rôle de Josephine Baker dans l’evolution de l’ArtAfricanisme?

4. De „Vous êtes la plus belle“ et des images nombreux de Josephine Baker jusqu'à votre oeuvre „Mission Paris – Afrique - ou Michel Leiris examinant l’authenticité des bananas » vous travaillez souvent d’une manière critiquant sur le sujet de la « Negrophilia » des années 1920 et 1930. Surtout la façon dont le corps noir était mis en scene, et exploité sur stage et dans le sport (« boxing ») m’apparaît comme une des thèmes que vous intéresse le plus. Dans ce contexte, comment voyez vous la mission Dakar-Djibouti avec Micheal Leiris et le rôle du boxer noir Panama Al Brown ?

5. Qu’est-ce que vous pensez de l’étude de Jean-Loup Amselle, « L’art de la friche », dans laquelle l’auteur voit durant la 20e siècle la renaissance quasi-permanente des primitivismes et considère le rôle de l’art africain (ancien, traditionel, populaire, contemporain etc.) comme un instrument de la regéneration des arts occidentaux ?

6. Avec l’ouverture du Musée de Quai Branly le sujet des arts africains dit « prémiers » et les questions de leur « acquisition douteuse » ainsi que leur mise en scène dans les musées européens est de nouveau de retour. Avec les travaux de Yinka Shonibare, un artiste assez connu pour ses idées de deconstruire la culture européenne, l’art contemporaine va entrer dans le Musée de Quai Branly l’année prochaine. Quelle est votre position dans le débat autour du Musée de Quai Branly ?




« Black Paris »..


1 - « Black Paris » - « Paris Black » - carrefour de rencontre de l’histoire de l’art et des idées du 20è siècle, lieu réel, lieu imaginaire – quelle est votre perception du thème de l’exposition ?


Le terme « Paris Black » renvoie facilement à la présence, à Paris, de personnes originaires de l’ Afrique : des personnes à la peau noire. Le terme même de « Black » est maintenant bien installé dans la langue française comme terme politiquement correct pour remplacer la formulation : « les Noirs ».
Si les gens ordinaires continuent encore à parler d’ « Afrique noire », les élites disent : « Afrique subsaharienne »pour la distinguer de l’Afrique du Nord appelé aussi Maghreb, mais tout le monde évite le terme « Afrique blanche ». Aujourd’hui à Paris, si tous « les blacks » ne sont pas obligatoirement africains, les Africains de Paris ne sont pas tous noirs. L’expression « Paris Black » ouvre la porte à un amalgame facile qui crée une communauté arbitraire où les Européens noirs, les Américains noirs, les Caraïbiens noirs et les Africains noirs sont rassemblés sous prétexte qu’ils ont la même couleur de peau. Pourtant cette fausse catégorie semble aussi fonctionner dans le Paris du XXIème siècle , grâce aux efforts de certains groupes ethniques de pression qui s’activent avec la bénédiction de certaines formations politiques, motivées par des considérations électorales.
Comment appréhender le thème de l’ exposition « Paris Black » ?
C’est assez complexe comme tâche car cela implique une réflexion sur l’histoire des relations entre Africains et Européens ainsi qu’un examen de la qualité du regard que nous portons sur cette histoire. Quand je dis : « c’est une question complexe », je vois la complexité dans le fait que nous – je parle en tant qu’ « Africain »- ne partageons pas le même regard sur cette histoire, pourtant commune, qui nous lie depuis des siècles. Quand je dis « Je parle en tant qu’« Africain » » , je rajoute un élément de complexité dans la mesure où je n’ai jamais compris ce que signifie être « africain ».
Certes, je suis né au Soudan et j’y ai passé la moitié de ma vie avant de venir en France, mais la conscience d’être « africain » m’est restée étrangère. Pendant mon enfance au Soudan , je croisais des personnes originaires des pays voisins dont certaines vivaient depuis longtemps au Soudan. Comme tout le monde, j’identifiais ces personnes par référence à leurs pays respectifs, en disant se sont des Congolais, des Nigériens, des Ethiopiens ou des Egyptiens. L’idée d’englober toutes ces personnes dans la catégorie « Africains » me semblait incongrue. Il a fallu passer par la propagande panafricaniste des années de la guerre froide pour que l’idée d’une appartenance au continent africain s’installe dans l’esprit des générations plus jeunes que moi.
Le Panafricanisme , en tant qu’élement de lutte contre le colonialisme, est difficilement compréhensible en dehors de la géopolitique de la guerre froide. La plupart des initiatives politiques et des évènements culturels internationaux, qui fédéraient les Africains autour de l’idée d’africanité, n’auraient pas eu lieu sans le soutien actif des grandes nations qui s’affrontaient pour dominer le monde durant la guerre froide, une guerre globale qui n’était pas toujours « froide » pour les peuples du Tiers- Monde.
Dans ce contexte, il est difficile de ne pas tenir compte des enjeux politiques et économiques lorsque les pays industrialisés manifestent un intérêt pour l’art et la culture en Afrique. Ainsi, il y a quelques mois, lors d’une assemblée d’actionnaires, Mr Thierry Desmarest, le Président-Directeur Général de Total, s’est vanté d’avoir réalisé douze milliards d’Euros de profit en une année. « Quatrième compagnie pétrolière mondiale, Total a –selon les termes de
T. Desmarest dans sa préface pour le catalogue français d’Africa Remix –un engagement fort et ancien depuis près de soixante- dix ans pour l’ Afrique. Implanté dans plus d’une quarantaine de pays africains, dans l’exploration-production-distribution des produits pétroliers, le groupe se doit de connaître et comprendre les communautés qui l’accueillent et être particulièrement attentif à leurs spécificités culturelles, sociales et économiques » . Je ne sais pas combien de dispensaires et combien d’écoles on peut construire en Afrique avec un milliard d’Euros, mais il est scandaleux que les responsables de Total , qui se prétendent attentifs aux spécificités sociales et économiques des communautés africaines qui les accueillent , ne contribuent pas de manière significative au développement des pays africains.
Mais une fois exprimé mes critiques à l’égard des investisseurs qui ne veulent pas investir dans le dévelopement social et économique de l’Afrique, qu’est-ce qu’on fait ?
En fait , on constate que les grands mécènes des entreprises multinationales préferent témoigner leur attachement au continent africain en aidant les artistes africains à exposer leurs créations aux Européens. Cet effort de mécénat bon marché se traduit par un retour médiatique et politique positif et offre aux multinationales une conscience tranquille à l’égard de la réalité africaine.Vous voulez savoir que faire face à une telle situation ? Il n’y a rien à faire sauf peut être à appliquer ce proverbe « africain » : « Il ne faut pas cracher dans la soupe tant qu’il en reste».
En effet, cette « soupe » de mécénat européen de l’art africain est sûrement très insuffisante , mais c’est la seule nourriture que « nous » avons eu jusqu’à maintenant. Quand je dis « nous », j’entends cette catégorie – par défaut – d’artistes contemporains extra-européens que l’art contemporain des Européens ne tolère qu’en tant que parias, qu’en tant qu’exclus maintenus dans une sorte de « réserve indienne » qui se nomme « art africain » ou « art oriental » ou « art des femmes » ou « art musulman » etc.. ».
Je pense qu’un jour viendra où il n’y aura plus de « soupe » ni de miettes pour les artistes africains, soit parce que les Européens auront trouvé de nouveaux « autres » plus efficaces que les « Africains » ou par ce que la notion même de
« l’autre » aura perdu sa validité morale auprès des Européens. Ce jour là, les artistes originaires du continent africain devront cesser de se présenter comme « artistes africains », et accepter le destin humain mais peu exotique, d’individus porteurs de singularités diverses. Ce destin sera inconfortable pour tous ces artistes contemporains qui semblent bien installés dans la posture d’ « artiste africain ».
Pour conclure , je perçois la manifestation « Paris Black » , dans toute cette complexité historique , comme une nouvelle contribution à ce monument du malentendu moral et esthétique, délibérément entretenu par certains Européens, et par certains Africains, qui dissimulent ce malentendu derrière des mots politiquement corrects, comme : « la rencontre », « le dialogue » ou « le métissage » des cultures.
En fait, ce qui me semble lier avant tout un artiste égyptien et un artiste sud-africain n’est pas leur appartenance au continent africain et à ses traditions. Ce qui les lie est uniquement leur appartenance à la tradition culturelle européenne dominante.




Q.2 « l’ artafricanisme »
En tant qu’artiste et historien de l’art vous avez fait des analyses assez pointues et provocatrices de la notion et du discours autour de « l’art contemporain africain ». Dans ce contexte vous avez développé le concept de l’Art-Africanisme. Est-ce que vous pouvez en résumer les points centraux ?


Le terme d’ « artafricanisme » est né, dans les années 90, d’une réflexion commune avec des amis artistes soudanais autour de l’art contemporain des Africains, dit « art africain », que nous considérions comme un nouvel « isme ».
Si vous voulez une définition courte de l’ artafricanisme, on pourrait dire c’est de l’ art européen pour Africains –comme quand vous dites « de la nourriture pour chiens ». Mais ce genre de provocation ne fait guère avancer la réflexion.
L’ artafricanisme est un concept ethno- esthétique qui rend compte d’un malentendu historique entre les Européens et les « Autres ». Je pense que ce malentendu est délibérement entretenu par les Européens impliqués politiquement et économiquement en Afrique.
Quand je dis « les Européens », j’entends également les Américains qui semblent vouloir caser les artistes afroaméricains , en tant que diaspora africaine,dans l’espace de l’ artafricanisme. Bien entendu les choses seraient simples si on pouvait mettre « les Blancs » d’un côté et « les Noirs » de l’ autre. Ce qui complique les choses c’est la dimension, de plus en plus, globalisante de l’artafricanisme. Ainsi, le Japon possède quelques institutions muséales qui s’intéressent à l’art des Africains. Mais la venue au Japon, au musée Mori de Tokyo, de l’exposition Africa Remix, grand moment de l’artafricanisme globalisant, est significative à mon avis, d’une évolution importante dans la qualité du regard que le public japonais posera désormais sur la production contemporaine des artistes africains. Bien entendu ce qui motive les Japonais à se poser en mécènes de l’art contemporain des Africain n’échappera pas aux Chinois ou aux autres nations industrialisées du continent asiatique. Si jadis, au nom de la foi chrétienne, les curés précédaient les forces de domination coloniale en Afrique, aujourd’hui ce sont les curators qui, au nom de « la foi artistique », tentent d’ouvrir des brèches pour les forces de dominations
néo-liberales.
Dans l’espace de l’art contemporain produit par des africains, « certains » mécènes européens sont parvenus, en l’espace de trois décennies, à créer un dynamisme conceptuel et technique favorisant l’apparition et le développement d’une version particulière de l’art contemporain des africains. Cette version serait l’incarnation d’ un art produit par des Africains selon les normes de l’africanité définies par leurs mécènes européens. L’artafricanisme serait donc une évolution possible de la tradition artistique européenne mise à la disposition des artistes africains.C’est également une sorte de masque qui permet aux Européens de ne pas voir le visage de la misère culturelle engendrée par le sous-développement africain.
Dans cette connexion esthétique euro-africaine , nous sommes loin de l’innocence de Marcel Duchamp qui disait : « C’ est le regardeur qui fait l’œuvre ! » Dans l’artafricanisme, c’est le mécène qui fait l’ œuvre. Mais les choses ne sont pas si simples, car la machine de mécénat de l’ artafricain évolue à grande vitesse pour contenir et utiliser , voire « controler », l’art des Africains .Car, même si de nombreux artistes africains ont répondu favorablement aux consignes des mécènes européens de l’artafricanisme, ces artiste « africains » sont présents dans le monde, voient et entendent ce qui se passe dans le domaine de l’ art, et par conséquent ils mesurent la distance, artificielle ou réelle, entre ce qu’ils font eux et ce que font les autres artistes du monde.
Ce phénomène de l’artafricanisme devient intéressant pour les artistes comme pour les autres , y compris les mécènes de l’artafricanisme quand la mystification est perçue comme la réalité. En quelque sorte, la greffe de l’artafricanisme prend racine dans la scène de l’art contemporain , et l’artafricanisme devient une option parmi d’autres pour une nouvelle génération d’ artistes contemporains africains qui ont découvert le monde de l’art avec la pseudo-réalité artafricaniste.Oui,on peut dire que aujourd’hui l’artafricanisme est un fait avec lequel il faut composer. Il y a des artistes africains qui composent en négociant une marge de manoeuvre qui leur permet de profiter du malentendu sans l’aggraver. Si on voulait écrire le mode d’emploi pour dénicher un bon curator d’artafricanisme, tout d’abord, il faudrait préciser que cela ne marche pas avec les curators et les mécènes qui ne doutent pas de leurs dogmes. Heureusement il en reste pas beaucoup. Donc, quand vous tombez sur « le bon » curator, (qui a souvent le profil du mâle blanc chrétien, lisez «coupable» de ne pas être parmi les victimes et tourmenté par l’état déplorable de l’ univers), commencez par le conforter dans son rôle de « sauveur » de l’art africain, de « protecteur » de l’ identité africaine, d’« initiateur » du dialogue entre les civilisations ou d’« entrepreneur » du métissage culturel etc. Quand vous aurez gagné sa confiance dites-lui que vous êtes exceptionnel, normal pour un artiste, et que lui-même est aussi exceptionnel que vous.Puis comme vous êtes entre gens intelligents, vous lui révélerez votre intention de lui confier cette mission difficile de préserver votre singularité d’ artiste africain qui n’ n’a pas le courage de porter le fardeau de l’art africain. Normalement si vous êtes peu nombreux à tenir de tels propos, une élite dans l’élite, votre plan marchera, et vous aurez la possibilité d’être reconnu comme une balise marquant la limite de l’entreprise artafricanisante. C’est un bon point pour le curator , car reconnaître les limites de son entreprise est un signe de modestie, voire d’ intelligence professionnelle, dans ce monde de l’art contemporain ou la moindre certitude risque d’être taxée de dogmatisme et de conservatisme.( Ne vous ai-je pas dit qu’il faut un curator qui doute !).
Cependant, ce n’est pas parce que vous reussissez à placer votre singularité artistique dans la vitrine de l’ artafricanisme que vos tracas sont finis, non , il faut expliquer et convaincre le public européen de l’ artafricanisme, perturber ses certitudes ethno-esthétiques, semer le doute dans ses rangs et, peut être même le consoler par une ouverture vers une nouvelle utopie d’ une esthétique humaniste , critique et extra européenne.
En d’ autres termes, la question de l’ artafricanisme impose aux mécènes de l’ art des Africains - comme aux artistes africains – un travail de réflexion critique sur les justifications ethiques des catégories ethno-esthétiques actuelles. Qu’est ce qui justifie l’existence d’un art contemporain qui se dit « africain » ? Qui profite d’une telle catégorie ? Cela exige un effort pédagogique sur la géopolitique de l’ art contemporain ainsi qu’ un examen des motivations des mécènes de l’ art contemporain. Il est nécessaire de rappeler que le travail de réflexion sur l’artafricanisme se fait sur un terrain en perpétuelles mutations conceptuelles.
Si dans les lignes précédentes j’ai tenté d’expliquer ma position d’ artiste contemporain dans le sable mouvant de l’artafricanisme, je tiens à préciser que je ne suis pas représentatif de l’ensemble des artistes contemporain africains qui évoluent dans ce terrain miné de l’ artafricanisme.
Dans les trois dernières decennies, la catégorie « art africain contemporain » a été construité, déconstruite, reconstruite selon les humeurs de divers mécènes européens. Mais si on examine la littérature critique dans les catalogues d’expositions qui ont accompagné ces travaux conceptuels, nous constatons que tous ces effort supposent un dénominateur africain commun , un « truc black » qui les caractérise. Si j’étais peu prudent je dirais une « africanité » , voire même une « authenticité ».( Qui échappe à l’authenticité ? Tout le monde sauf les Africains bien entendu).

Dans un dialogue avec Okwui Enwezor,(publié dans le catalogue de l’ exposition « Looking Both Ways », Museum for African Art, NewYork 2003),Yinka Shonibare négocie un passage périlleux entre distanciation et célébration de ce que les mécènes de l’ artafricanisme considèrent comme son « africanité » ou, selon les termes d’Enwezor, son « consciousness of blackness ».
La question posée par Enzewor était :« How has your consciousness of blackness manifested in relation to the international art world ? ».
Je pense que lorsqu’un curator ( noir)de l’envergure d’Enwezor suppose que vous portez une « consciousness of blackness » il n’est pas sage de le contrarier. Si les curators de l’artafricanisme sont devenus de véritables demi- dieux, dans le cas de Shonibare, Enwezor est Pygmalion. Ainsi, dans sa réponse à cette question, Shonibare s’imagine , en équilibre, sur une improbable ligne de crête ,entre le« mainstream art» et l’ artafricanisme.Il devient une sorte d’ arbitre entre deux mondes opposés : l’Afrique et l’ Europe.
En effet , l’ artiste contemporain dont la présence sur la scène internationale de l’ art se justifie, en partie, par sa qualité ethnique, se trouve obligé d’ entretenir le mythe de l’origine.Shonibare exprime l’ambiguité de sa posture avec clarté lorsqu’il dit à Enwezor :
« ..There’s a kind of complicity on my own part that I need to explain :What I ‘m doing is not so clear cut. People might assume that I have a total critical distance from my practice, but I don’t think that ‘s the case ; it’s more complex, because, on one level, I challenge the denial of my african background, in other words, a part of my work has to do with visibility – with my own attempt to make my origine visible. I have chosen to remain in control of my own representation, and therefore, while the use of the african fabric is on the one hand a critical look at representation, or at what might represent the African, it’s simultaneously a celebration.So it is actually a negation and a celebration simultaneously», (« Looking Both Ways », catalogue, p164).
Ces propos ne pourraient pas résumer ce que j’entends par Artafricanisme car le phénomène dépasse les stratégies du couple artiste/curator pour atteindre la dimension des stratégies des Etats.
Je pense que l’art contemporain des Africains s’implique de diverses manières dans la complexité des relations internationales.En France, par exemple ce sont des fonctionnaires du Ministère des Affaires Etrangères ou du Ministère de la Coopération – et non ceux du Ministère de la Culture - qui gérent les affaires de l’art contemporain des Africains . A cet égard, l’expérience du programme « Afrique en Création » mériterait une réflexion sur le rôle des Etats européens dans l’évolution des mouvements de création en Afrique.




Q.3 et Q.4

3. Comment voyez vous le rôle de Josephine Baker dans l’evolution de l’ArtAfricanisme?
4. De „Vous êtes la plus belle“ et des images nombreux de Josephine Baker jusqu'à votre oeuvre „Mission Paris – Afrique - ou Michel Leiris examinant l’authenticité des bananas » vous travaillez souvent d’une manière critiquant sur le sujet de la « Negrophilia » des années 1920 et 1930. Surtout la façon dont le corps noir était mis en scene, et exploité sur stage et dans le sport (« boxing ») m’apparaît comme une des thèmes que vous intéresse le plus. Dans ce contexte, comment voyez vous la mission Dakar-Djibouti avec Micheal Leiris et le rôle du boxer noir Panama Al Brown ?




Je vois Joséphine Baker comme une chorégraphe américaine (traduisez :chorégraphe européenne), qui a réussi à construire tout un répertoire remarquable de chorégraphies primitivistes. Chorégraphies qu’elle présentait, sur les scènes européennes, comme danse « africaine ». Mais Joséphine Baker n’était pas seulement une chorégraphe, c’était également une Américaine noire qui a trouvé réfuge en Europe après avoir expérimenté la misère et la brutalité du racisme américain du début du XXème siècle. Cependant quand on examine la nature de l’accueil que les Européens lui ont réservé, on constate le même rejet raciste, mais exprimé de manière autre, un racisme subtil et biaisé qui a fait d’elle la représentante d’une sexualité primitiviste débridée et diabolique à la fois, une sexualité noire capable d’assouvir tous les fantasmes érotiques du mâle blanc, chrétien et dompteur du monde sauvage. Bref,c’était la femme idéale pour Indiana Jones ou pour Michel Leiris, jeune poète surréaliste égaré parmi les ethnologues et promoteur de l’ethno-esthétisme. Si Joséphine Baker est devenue un (sex )symbole chic de l’Afrique dans le Paris des années 20, ce n’est pas parce que elle était la seule « africaine » dans cette ville. Paris a , depuis toujours , connu les communautés noires d’Afrique ou des iles Caraïbes. Mais Joséphine était la femme noire qui se trouvait là, au bon moment et au bon endroit, au carrefour des grandes contradictions socio-culturelles de la société française d’entre deux guerres : Colonialisme, ethnologie, fascisme, surréalisme, primitivisme, Art Nègre , Charleston et robes courtes . Elle était l’arbre américain qui cache la forêt africaine. Proche des hommes de l’envergure de Michel Leiris, Picasso, Van Dongen, Hemingway , elle était dans toutes les aventures de l’élite parisienne. A cet égard, sa participation et celle du boxeur noir americain Al Brown, à l’ effort financier de la Mission ethnologique « Dakar Djibouti » sembla naturelle aux yeux de ses contemporains en tant que « Noire » qui aide « son » peuple d’un continent noir qu’ elle n’a pourtant jamais connu.
Je ne vois pas Joséphine Baker comme initiatrice de l’Artafricanisme mais comme un support matériel sur lequel des idéologues de l’ethno-esthétisme ont inscrit leurs projets. De son côté, Joséphine Baker, heureuse de la manipulation de son image de femme noire par l’élite négrophile de Paris (voir :The Josephine Baker story, Ean Wood, 2000) , a évolué sur les ornière du chemin des primitifs européens. Chemin sur lequel des artistes modernes ont laissé de remarquables repères : Paul Gauguin, deux décennies plus tôt, avait installé son primitivisme breton dans une forêt vierge tahitienne réaménagée au goût des Parisiens, quant à Picasso, son contemporain, il a combiné le primitivisme espagnol préféodal et l’ art négre sous le regard admiratif des Parisiens.( John Berger, Success & failure of Picasso, 1965). » Et en 1961, les Dadaïstes organisaient , à Paris, au Cabaret Voltaire, des soirées africaines inspirées des masques primitifs de Marcel Janco »(E.Wood, ). Je pense que la cage dans laquelle dansait et chantait Joséphine, déguisée en oiseau ou en femelle sauvage , n’ était pas simplement un décors de scène de Music hall. Cette cage représentait, dans l’esprit du public européen, une métaphore clé de la culture de domination qu’a engendreé la société capitaliste en Europe. En tant qu’ espace d’oppression et d’ordre où l’on peut classer et contenir les énergies et les êtres du monde « désordonné», la cage apparaissait comme la place approprié pour les Africains. Ce bricolage symbolique du racisme européen s’ appuyait sur toute une tradition d’exposition de « Village indigène » , qui , depuis la fin du XIXème siècle, représentait l’élément le plus constant des expositions universelles.(voir John MacKenzie, « Les expositions impériales en Grande-Bretagne » in Zoos humains , La Découverte, 2002).
Je pense que l’ Artafricanisme est une version contemporaine du « Village indigène » qui intégre les artistes africains en marge de la foire artistique « mainstreamiste ». Le dernier village indigène est itinérant, il se nomme « Africa Remix », il est habité par plus de quatre vingt artistes « africains » et ils s’appellent tous Joséphine Baker.


Question 5 :
Qu’est-ce que vous pensez de l’étude de Jean-Loup Amselle, « L’art de la friche »,
dans laquelle l’auteur voit durant la 20e siècle la renaissance quasi-permanente des
primitivismes et considère le rôle de l’art africain (ancien, traditionel, populaire,
contemporain etc.) comme un instrument de la regéneration des arts occidentaux ?


« L’ art de la friche » propose une nouvelle grille de lecture de la réalité artistique africaine telle que les instances officielles de la culture l’ appréhendent. C’est une sorte de version artistique de La Françafrique de François-Xavier Verschave (F.X. Veerschave,La Françafrique, Stock, 1998)
Cependant dans l’ analyse d’ Amselle l’ idée de la régénération de l’ art occidental par l’ art africain évoque une attitude d’ échange entre partenaires( égaux ?) ; un échange qui autoriserait les créateurs africains à injecter dans le corps de la culture française quelques éléments regénérateurs , une sorte de sang nouveau dans le corps de la veille culture français.
La France aurait , selon Amselle, organisé un processus de mise au jour d’« un art contemporain africain » dans le cadre institutionnel de « la coproduction artistique artistique et culturelle franco-africaine » (L’art de la friche, p. 136).
Cette organisation serait motivée par deux objectifs :
1-Restaurer la culture français
2- Défendre la patrie contre les concurrents étrangers.
D’ une part ,le modèle franco-africain se propose « comme instrument de régénération de la culture française par l’Afrique ou de la cogénération de la culture franco-africaine comme substitut d’ une culture française qui se délite et d’ une langue française qui subit une perte d’ influence à l’ échelle mondiale »(p.137).
D’ autre part, la nouvelle organisation de la coproduction franco-africaine serait motivée par la volonté de faire face à
l’influence croissante de la version américaine de la globalisation dans une Afrique que la France a , depuis toujours , considérée comme une chasse gardée. Jean-loup Amselle se demande « La culture française mise à mal par la mondialisation, en particulier par la suprématie de l’ art et de la culture nord-américaine(cf. rapport Quemin) n’est-elle pas condamnée à trouver son salut dans les zones les moins développées, c’ est-à-dire les plus sauvages de la planète, auquel cas son goût pour le primitivisme, goût teinté du paternalisme, ne serait qu’ une façon de faire de nécessité vertu. »
Cette idée que les cultures africaines sont en mésure de régénérer la culture française attribue aux africains un statut d’« agent » actif dans la relation franco-africaine. Or, la nature
des rapports historiques entre Africains et Français fausse cette illusion du principe d’ échange entre entités égales. La nature déséquilibrée des rapports de forces économiques et politiques donne à la France l’opportunité de contrôler la totalité des « échanges culturels » franco-africains en fonction de ses priorités économique et politiques. Si je met le termes « échanges culturels » entre guillémets c’est par ce que la réalité des rapports franco-africains dément la logique de l’échange.
Ainsi la France prend ce qui lui est « utile » sans donner à l’ Afrique ce que les africains pourraient juger utile pour eux, dans la culture française (comme le transfert des technologies modernes par exemple). Ce que la France juge comme « utile » dans la culture africaine c’ est plutôt la part française dans une culture « africaine »forgée selon les consignes des médiateurs inféodés à l’ état Français.Ce que la France juge « utile » dans l’art des africains c’est justement la part de l’artafricanisme. Dans toute cette entreprise de la régénération, les Africains ne sont convoqués que comme alibi de l’ africanité du chantier franco-français. Enfin, penser que les Français pourraient aller chercher la régénération de leur culture dans les cultures africaines, me semble une attitude trop utopiste lorsque on la considère dans le contexte de ce que François-Xavier Verschave désignait comme « La Françafrique ».
La Culture française –avec un grand C - est trop satisfaite d’ d’elle même pour s’ intéresser aux cultures des peuples sous domination française. Les rares occasions où la France s’est montrée intéressée par les cultures des africains c’était pour les piller ou les utiliser pour servir ses objectifs politiques.
Entre la mission Dakar-Djibouti en 1930 et l’ ouverture du Musée quai Branly en 2006 s’ étale toute une histoire fascinante de la colonisation de l’ art des Africains par les instances officielles de l’ état français.Cette histoire mérite un grand H afin que les Africains et les Français puissent comprendre la complexité de leur relation.


Question N°6 :
6. Avec l’ouverture du Musée de Quai Branly le sujet des arts africains dit « prémiers » et les questions de leur « acquisition douteuse » ainsi que leur mise en scène dans les musées européens est de nouveau de retour. Avec les travaux de Yinka Shonibare, un artiste assez connu pour ses idées de deconstruire la culture européenne, l’art contemporaine va entrer dans le Musée de Quai Branly l’année prochaine. Quelle est votre position dans le débat autour du Musée de Quai Branly ?

Vous posez deux questions d’apparence autonomes mais, en réalité, unie par la même problèmatique , celle du statut des objets dans les musées. Quel est le statut des objets africains dans le musée Quai Branly ?Quel statut auront les objets des créateurs contemporains dans ce musée, que ces créateurs soient africains ou non ?
Pour répondre à votre question il faut commencer par le premier volet, celui qui concerne le Musée du Quai Branly avant de nous pencher sur le second, celui de l’ art contemporain des Africains.
Le Musée de Quai Branly, à paru dès le départ, hésiter entre diverses qualifications : musée des arts primaires ? musée des autres ? musée des cultures extra-européennes ? musée du dialogue entre les cultures ? Mais ces appellations camouflent mal sa fonction . En effet c’est une véritable machine de guerre idéologique qui , par le biais de la conservation du patrimoine artistique non-européen, déclare la guerre des civilisations contre les pauvres du monde extra-européen en Afrique, en Asie , en Amérique latine sans oublier les personnes d’origines non-européennes installées comme « émigrées », au sein des societés européennes.
Comment cela fonctionne-t -il ? Par l’ ethnicisation du monde et par le classement des groupes humains selon les principes du « barbare » et du « civilisé ». Et pour quoi les Français auraient-ils besoin de mener une guerre de civilisation contre les « barbares » ? Parce que les « barbares » détiennent des source d’ énergie et des richesses naturelles et représentent de grandes opportunités économiques en tant que marché .Je sais que mes raccourcis sont abrupts mais ma priorité est d’en arriver à la partie la plus interéssante : Comment les Français mènent-ils leur guerre de civilisation ?
En effet, les Français mènent leur guerre sur deux fronts à la fois, contre les « autres » non européens et contres les concurrents du marché global qu’ils soient américains, chinois ou japonais.La complexité de cette situation vient du fait qu’ il faut convaincre les « autres » cultures éthnicisées d’accepter de rentrer dans une « réserve » culturelle à une proximité utile de la Culture française, qui , au nom de l’égalité entre les cultures, se plierait à une ethnicisation pragmatique Ainsi, selon la trouvaille de Jean-Hubert Martin :toutes les cultures se valent et « chaque culture est exotique pour l’autre »(Voir le texte de J.H Martin dans le catalogue de Magiciens de la Terre, 1989, ainsi que ses propos dans Le Monde du 25 Juin 2000).Entre civilisations qui se valent la meilleure chose à faire est de dialoguer et de se métisser en vue d’ une utopie universelle et définitive.

(texte publié dans le catalogue de l' exposition Paris Black , Art et culture de la diaspora noire.Iwalewa-Haus, Museum der Weltkulturen, & Musée des arts derni, Oct.2006)