Fasciné par l’attraction des images depuis son enfance, Hassan Musa, s’inscrit dans une tradition picturale européenne de l’image. Né au Soudan en 1951, il étudie aux Beaux-Arts de Khartoum et est titulaire d’une thèse de doctorat en histoire de l’Art. S’appropriant au fur et à mesure de son parcours les images de l’iconographie judéo-chrétienne, il s’affiche comme l’héritier naturel de l’histoire de l’art occidentale. Pour lui, le dialogue des cultures est un binarisme trompeur dont il faut se méfier. Devenant ainsi un faiseur d’image, il se sent libre d’associer la calligraphie arabe, la peinture européenne ou encore l’aquarelle sur des morceaux de tissus imprimés qu’il dégote dans des drogueries.
Depuis 1969, il expose ses œuvres dans différents pays du monde. Parallèlement à ses expositions comme Africa Remix, à l’occasion de laquelle j’ai découvert son travail, il a réalisé une dizaine de Performance dont « Name plates cena », « Looking both ways », au Museum for African Art, New-York, 2003. Depuis 1982, il vit et travaille à Domessargues prêt de Nîmes où il organise régulièrement des ateliers d’initiation à la calligraphie et où il enseigne les arts plastiques. Il est également auteur-illustrateur d’une vingtaine de livres pour enfants aux Editions Grandir et Lirabelle.
Aujourd’hui bien connu pour être le contestataire de ce qu’il appelle l’ « artafricanisme », « un art pensé en Europe par les Européens pour les africains », il est toutefois présent dans certaines manifestations qui reposent sous la bannière de l’art contemporain africain. La raison lui paraît évidente, il s’agit du seul espace d’exposition internationale qui lui permet de soulever la question de la légitimité d’un art africain contemporain. Terrain d’action politique, l’ « artafricanisme » est le lieu d’une agitation importante dont l’artiste à compris le fonctionnement. Devenu une sorte de critique spécialiste de l’art contemporain africain, il veille à l’utilisation des mots utilisés pour signifier ses images et n’hésite pas à intervenir publiquement lors de conférence, colloque et débat sur le même thème.
Dans son atelier, Hassan Musa compose l’espace avec des chutes de tissus, des coupures de journaux, des fragments de papiers. La machine à coudre y a une place primordiale. Et différents morceaux suspendus à une corde à linge attendent d’être rapiécées. Le salon de sa maison s’ouvre sur une immense bibliothèque où catalogues d’exposition, livres d’art et livres illustrés pour enfants se côtoient. C’est dans cet univers, où le bricolage de matériaux lui permet de créer ses propres outils de réflexions et de réinventer chaque jour de nouvelle situation, que nous avons réalisé le 24 avril l’entretien qui suit.
Tu es en France depuis une vingtaine d’années, tu travailles comme professeur dans un lycée.
Pourquoi avoir choisi la France comme territoire d’accueil ?
J’ai voulu aller aux Etats-Unis et j’ai demandé une bourse à des fondations mais il n’y avait plus d’argent pour les étudiants étrangers. Après, j’ai demandé une bourse au British Council pour aller à Londres mais cela n’a pas marché. J’ai même tenté d’aller en Allemagne. Jusqu’ à ce qu’un ami qui se trouvait en France où ,je viens d’ arriver, me conseille d’y rester. Mais j’aurais vraiment pu aller n’importe où. Et, c’est en France que j’ai découvert l’art africain.
Quel a été ton premier contact avec le milieu de l’art français ?
Je me suis rendu avec mon carton à dessins dans plusieurs galeries, mais avant même d’arriver je savais que le galeriste n’allait pas trouver ce qu’il voulait dans mes cartons. Un galeriste a même sorti les toiles d’un peintre haïtien pour m’expliquer ce qu’il voulait. Pendant quatre années, j’ai travaillé avec une descipline militaire des natures mortes, des paysages, des figures etc. Je suis passé par toute cette formation effectuée au sein des différentes écoles d’art en Europe et on attendait de moi un travail similaire à celui des primitifs haïtiens. Ce sont des gens qui ont appris à dessiner dans la rue. Mais je n’ai rien avoir avec eux. L’école des Beaux Arts à Khartoum est une école occidentale selon la version britannique de l’école d’art. En définitive, nous n’étions pas occidentalisés, nous étions des occidentaux. Et c’est pourquoi nous sommes occidentaux et modernes, partenaires du monde dans lequel nous vivons tous actuellement. Je n’ai qu’une culture, et c’est celle du marché.
La notion des dialogues des cultures est un mensonge ?
C’est une notion suspecte qui suppose qu’au départ il y a des entités culturelles autonomes et entières. Mais une culture est en état de négociation permanent avec d’autres cultures et d’autres centres d’intérêts. Et le dialogue des cultures suppose qu’on fasse abstraction du conflit d’intérêt. Mais les cultures n’échappent pas à la lutte des classes. Quand il y a des conflits d’intérêt, c’est qu’il n’y a pas de dialogue, mais la guerre.
Tu détournes souvent des figures comme Mona Lisa, Van Gogh, l’Origine du Monde etc. Tu les « décontextualises » et les « recontextualises » dans la matière du drap.
Tout cela est une palette dans laquelle je puise mes sources d’inspirations. Tous ces éléments font partie de mon héritage. Je choisis des ingrédients qui auront dans mon projet, une portée esthétique au sein d’un savoir-faire technique. C’est un travail de bricoleur. Je trouve une solution pour un problème pour lequel il n’y a pas d’outil. A partir de ce bricolage on peut définir une règle ou une loi, mais la première fois, c’est vraiment du bricolage. J’espère que ces solutions contribuent à donner des cartes de lecture à d’autres personnes. Mon traitement de la surface est un propos non-verbal. Mon propos n’est pas purement technique. Ce sont des images qui n’échappent pas aux contradictions du monde. Elles sont construites par rapport à celles que je reçois de la calligraphie arabe, de l’aquarelle chinoise, de la peinture du 17è français, de la peinture africaine etc. Je me sers de tout cela pour construire un propos. Et le propos politique est celui qui m’intéresse le plus. Je me sers des images de la peinture européennes car ce sont des images que je connais bien et je sais que tout le monde les a vues. Ce sont des clins d’œil à l’Histoire de l’Art et au public en général. Je compte sur la mémoire visuelle des gens. C’est peut-être ce qui donne à mon travail une certaine force.
Tu as une double casquette d’illustrateur et de peintre. J’ai le sentiment que tu ne mélanges pas les différents outils. La calligraphie d’un côté et la peinture de l’autre.
C’est très dangereux en peinture car cela fait très exotique. Bien que je ne trouve pas que la calligraphie soit exotique. C’est un art actuel. Mais pour éviter que l’on me renvoie à mes origines orientales, je l’utilise très peu, en effet. Quand j’exerce mon métier d’illustrateur, je réponds à la commande d’un éditeur et j’ai les contraintes du travail d’équipe. Je suis obligé de m’autocensurer alors que la peinture est un espace de liberté.
En étant en France, je m’adresse à un public plutôt européen, chrétien, marqué par la culture de marché etc., Il faut donc que je tienne compte de leur manière de recevoir le message pour éviter les malentendus. Mes œuvres qui puisent leurs références dans la bible, Saint Georges, Saint Sébastien, le Christ etc., n’évoquent pas la même chose au public soudanais et au public français. L’artiste naît dans un monde qui est déjà fait. Son travail est lié à un processus d’apprentissage, de restitution et de contribution. Si Rembrandt m’émeu encore aujourd’hui, c’est que son propos me semble toujours d’actualité.
Quelle place accordes-tu au matériau et aux motifs dans ton propos esthétique ?
Parfois c’est le motif qui m’interpelle. L’image commence à prendre un propos esthétique par rapport à d’autres images quand elle s’inscrit dans un projet. Quand j’ai vu ces fleurs bleues, j’ai compris qu’il y avait quelque chose à expérimenter avec les pieds du Christ. J’ai travaillé avec de l’encre bronze, ocre et argent sur des motifs de raisin. Ce sont des tissus que je trouve en ville. Le tissu a sa propre logique et il me propose des pistes de réflexion au moment où je veux y intégrer mon image. Lorsque je vais chercher mes tissus, je cherche des motifs d’olives, de tournesol, de figues. Parfois, je trouve des voitures, des poules. Personne n’achète ces tissus. Tout cela nourrit mon travail de recherche esthétique. Au moment où je compose mon image, je regarde ce qui arrive au support lui-même. Le regard est perturbé, il est gêné par ces changements. C’est une façon de redonner vie à ces images et de construire une image nouvelle sur la carcasse de ce que j’ai récupéré.
Tes toiles sont en général de grand format. Comment recouvres-tu la surface de ta toile ?
La toile est accrochée sur le mur. Je commence par le haut pour terminer en bas. En bas, la partie est enroulée en attendant d’être peinte. La taille de l’œuvre compte car j’aime qu’il y ait beaucoup de motifs et donc il me faut de la place et de l’espace. Mais la nature du tissu est tout aussi importante. C’est un tissu trouvé. Il n’a donc pas la noblesse de la toile apprêtée. Je ne peux pas travailler à l’huile sur ces tissus sinon je perds la présence des motifs. Donc je travaille à l’encre pour textile. J’en ai deux. Une opaque et une transparente. C’est une encre très souple qui s’intègre parfaitement dans la trame du tissu. C’est une matière qui me permet de travailler dans de bonnes conditions.
Tu récupères des tissus, des motifs, des sujets de l’histoire. Quelle valeur accordes-tu à la récupération ?
C’est une logique à laquelle on ne peut pas échapper. Quand on séjourne à l’étranger pendant un moment, on s’installe dans le raisonnement phonétique du pays. La récupération est une manière de s’insérer dans l’activité des images qui nous entourent. Je prends ce qui est devant moi, ce qui a attiré mon regard à un moment donné. On récupère tous dès que l’on apprend et que l’on veut construire soi-même. Au final, on récupère car un objet arrive avec son histoire et que c’est elle qui oriente nos choix de construction et d’association. En somme, je dirai que l’objet trouvé arrive avec ses propositions. Je le prend parce qu’il me semble accessible. C’est pourquoi, je ne parlerai pas de logique de récupération. Je me méfie de ce terme, car il y a des théoriciens qui depuis quelques années disent que la récupération est un art d’Africain, un art de pauvre. J’utilise des choses accessibles certes, mais je m’en sers pour leur efficacité. Je ne suis pas dans le déchet. A l’opposé, il nous plaît de croire que la toile vierge est vide. Mais elle est chargée d’une virginité à partir de laquelle le peintre commence son œuvre.
De « l’Allégorie à la banane », en passant par ton « Autoportrait en Saint-Sébastien », jusqu’au « Great American nude », ton œuvre tout entière côtoie avec humour et dérision différentes thématiques quelles soient politiques ou encore autobiographiques. Pourquoi ?
L’humour est une technique de communication comme une autre. Je pense que certaines situations très graves nécessitent d’être traitées avec humour pour créer le décalage nécessaire à leur compréhension. En d’autres termes, l’humour admet une distance critique consciente que le pathos ne permet pas.
Dans « Great American nude » tu associes la position et le corps de Melle O’Murphey de Boucher au visage de Ben Laden. D’une certaine manière, tu tutoies cette peinture du 17ème siècle en te rappropriant ces icônes. Que t’inspire cette période et ces peintres ?
Je me suis intéressé à la peinture des 16ème et 17ème siècles de grands maîtres tels que Montaigne, Le Titien, ou encore Dürer. J’ai commencé à copier leurs toiles tout en voyant en elles de véritables espaces de liberté. Je les ai alors intégré à mon travail à un moment où personne ne s’intéressait à la peinture figurative. Fragonard, Boucher, Chardin sont des sortes d’amis d’enfance dont j’ai vraiment découvert l’histoire avec le temps. En un sens, leurs travaux m’appartiennent. Adolescent au Soudan, je copiais La Chine Illustrée, un magazine de propagande qui se vendait pendant la guerre froide et contenait des illustrations. A l’époque, je copiais les aquarellistes chinois. Et puis, il y avait aussi le cinéma. J’ai vu la plupart des grands classiques américains dans un cinéma à ciel ouvert sur un écran de ciment. Mes sources sont innombrables.
A l’aide d’une machine à coudre, tu recomposes ta toile de fragments. Est-ce une manière d’interroger le cadre de l’intérieur ?
Le cadre par définition induit un intérieur et un extérieur. Il a donc la propriété de délimiter l’espace. Il est avant tout pour moi un espace de travail, mais aussi une ouverture vers l’intérieur comme vers l’extérieur. Je le traite comme un élément de l’image. C’est le projet qui détermine la nature et le rôle du cadre.
Dans ton atelier, suspendus sur des pincettes et sur des tables, il y a beaucoup d’images issues de la presse spécialisée, quotidienne et féminine. Dessus figurent des personnages. Te servent-ils de modèles, viennent-ils peupler un univers mental en vue de tes différentes créations ?
Les images sont partout. Elles sont dans les livres, à la télévision, dans ma tête etc. Je les aime. C’est pourquoi, quand je travaille j’ai besoin d’avoir des images concrètes de la presse, de cartes postales, de tissus, de reproductions bien que cela m’encombre. Je n’arrive rien à jeter. J’en possède plein mon atelier. Et je ne peux pas m’en détacher. Ce sont des archives qui me permettent de développer de nouveaux projets. Ces images sont la matière même du monde dans lequel je travaille avec ses références. Quand la peinture devient une priorité, une urgence, on ne prend pas conscience de l’encombrement de son atelier. L’atelier de Francis Bacon est une leçon extraordinaire sur la question des priorités.
La presse s’est emparée d’Africa Remix comme de l’évènement à ne pas manquer. Quelles en ont été tes retombées personnelles ? Cette exposition n’est-elle pas devenue une bonne carte de visite pour l’avenir ?
Africa Remix c’est une médiatisation à outrance et surtout de la télévision. Mon œuvre a été diffusé dans quelques émissions télévisées ce qui a déclenché la curiosité d’un certain nombre de personnes. Des galeristes. Des journalistes. Ce sont là les retombées immédiates. Dans un deuxième temps, Africa Remix aura été le lieu de rencontres et d’échanges intenses avec des personnes qui partagent le même point de vue que moi sur l’« artafricanisme ». De ces rencontres sont nées et naissent encore des projets pour lesquels ma participation est sollicitée. Alors sans cette vitrine, je n’aurais pas tous les contacts professionnels que j’ai aujourd’hui, bien que la moitié d’entre eux soient marqué par la notion d’art africain ou d’art ethnique.
L’ « artafricanisme » est avant tout une tribune politique. Je continuerai d’y exposer tant que je n’y substituerai pas une tribune plus intéressante. Tant que celle-ci est rentable sur le plan critique, je ne m’en priverai pas. J’ai été éduqué en Afrique. Et pourtant, l’art africain est un objet qui a été inventé par les gens qui s’en servent et qui le manipulent aujourd’hui. Mon travail est avant tout celui d’un artiste qui est affecté par sa situation d’homme dans le monde. C’est pour cette raison que je pense que la manipulation des images est un geste politique qui a des conséquences politiques. Je dénonce cela. Car certaines machines propagandistes avancent masqués en imposant leur vision des choses de façon totalitaire. Mais le monde n’appartient pas à ces personnes détenant le pouvoir technique et matériel. Le monde est un bien commun de l’humanité. Tout comme les images. A nous de trouver notre place et de la garder.
« L’art de guérir » se présente à la verticale suspendue à un mur de la maison de l’artiste. Le tissu est à l’origine constitué de fleurs bleues et jaunes sur fond blanc. Progressivement, un agrégat de formes entrelacées et de matière a eu raison du matériau brut. Des pieds peints de profil et bandés recouvrent le centre de l’œuvre. Tandis que la forme originelle du médium est laissée apparente dans sa partie inférieure, des pieds beaucoup plus monumentaux et une calligraphie composent le dernier plan de l’œuvre. L’image est très vite perturbée par les changements infligés au tissu. Des jeux de concordance se produisent entre le dessus et le dessous, le fond et la forme, l’arrière et le devant, l’intérieur et le bord de la toile. L’illusion perspectiviste crée une dynamique dans la toile qui bouleverse le rapport optique et hâptique du spectateur. Dans un processus de décryptage, le regardeur est pris dans le dispositif de relation cognitive voulue par l’artiste. Mais le tissu appelle à la planéité de la peinture, qui disposée en touche de couleurs rectangulaires sur le bord gauche de la toile, réinscrit la composition dans sa réalité picturale.
Bien que les fleurs sur le tissu soient les premiers motifs imprimés, leur relation aux pieds et à la calligraphie admettent d’autres niveaux de lecture de l’œuvre. Le dispositif visuel mis en place par le peintre consiste en une dynamique structurelle qui alimente le propos artistique. En effet, les pieds, en tant que matière première du traitement pictural, deviennent des pictogrammes fonctionnels qui cherchent plus l’efficacité plastique que l’esthétique. L’artiste s’est attelé à travailler à partir de matières premières, le pied et la fleur, pour les développer et les faire évoluer dans l'espace de son support sans en abandonner leur configuration d'origine. Ainsi, la fleur habitait déjà la toile avant l’intervention de l’artiste et le pied bandé est celui que l’on retrouve sur des emballages de prescriptions médicamenteuses.
Le substrat est une ossature ou un squelette permettant d’agencer la matière autour de ce qui fonctionne comme un principe d’ordre. La juxtaposition atténue l’effet de présence physique du motif dans le tableau. Musa a rassemblé et accumulé des éléments hétérogènes (écriture, formes, pensées) pour composer, recomposer une nouvelle totalité idiomatique. Dans une société assujettie au pouvoir de l’image, Musa détourne les symboles, les formes et les références pour les soumettre à une nouvelle réalité : celle de la toile. Celle-ci n’a pas d’autre fonction que de réorienter le regard du spectateur vers des références extra-picturale constitutives d’une culture universalisante.
Ainsi, l’œuvre comme enchâssée au sein de cadres successifs et d’espaces transitionnels devient un univers de synthèse. Il s’agit de lier et de relier, d’ordonner et de délimiter des formes et des motifs, en tressant peu à peu une étoffe continue : celle de l’entrecroisement des mondes de l’art. L’extraction chirurgicale des pieds du Christ superposés à la calligraphie situe la pratique de l’artiste dans une confrontation perpétuelle des motifs et des registres de l’histoire de la peinture. Ce bricolage formel est le symptôme d’une offensive nouvelle contre les mythologies esthétiques du modernisme. Pour lutter contre les images de la société consumériste, Musa substitue des grandes figures du panthéon de l’histoire de l’Art. Dans l’Autoportrait en Saint Sébastien de 2005, c’est le visage de Che Guevara qu’il plante sur le corps de Saint Sébastien. A la manière d’Andy Warhol, dans Cenacola, il reproduit dans un principe sériel et mécanique « l’objet-logo-industrie » Coca-cola. Le motif répété sur un tissu coloré constitue l’emblème d’un drapeau flottant au vent. La circulation de cet objet dans notre monde « imagologique » induit que si les frontières territoriales perdurent pour les Hommes, elles ne s’appliquent pas pour le Commerce et pour l’Industrie. Ainsi, Coca Cola devenu Cenacola, est la manifestation de l’appropriation d’un produit exogène à l’Orient devenu endogène.
Hassan Musa à un goût très prononcé pour la question du cadre, de la limite, des territoires et de la frontière, au sens propre comme au figuré. Doit-on être né dans telle partie du monde pour revendiquer l’utilisation « naturelle » d’une technique particulière ou d’un objet ? Les invariants particularistes doivent-ils avoir raison des universaux ? C’est pourquoi, dans l’œuvre The Origin of the Art réalisée en 1998, l’artiste superpose la figure de Mona Lisa au sexe sans visage de l’Origine du monde de Courbet. Véritable manifeste généalogique de la famille artistique de Musa, celui-ci tutoie avec une certaine familiarité Van Gogh son oncle, Mona Lisa sa mère, Léonard de Vinci son grand-père, le couple Arnolfini ses cousins de Hollande et son frère Che Guevara.
Cet héritage est considéré par l’artiste comme « une palette » dans laquelle il puise pour créer un nouveau discours sur l’Art et la notion même de Culture. Son travail s’apparente à celui d’un bricoleur qui trouverait dans cette immense boîte à outil qu’est l’histoire de l’Art, un matériau de création suffisant et nécessaire pour entamer un dialogue ouvert et à la portée de tous. Ce dialogue ne fait donc nullement parti d’un schéma duopole ou manichéen puisque l’artiste lui-même se considère comme l’un des dignes héritiers des Lumières, fils des traditions totales et totalisantes.