Les Questions de Maureen HAYEZ
Entendre/Ecouter
Ce texte est le resultat d' échange d'E mail à l' occasion d' une exposition intitulée "Entendre/Ecouter", organisée par un groupe d' étudiants en Histoire de l' Art à l' Université Libre de Bruxelles ( 2008).Maureen Hayez m' a contacté par l' intermediaire de Dunja Hersak ,chargée de cours à l' Université Libre de Bruxelles.Une partie de ce texte est publiée dans le catalogue de l' exposition.
Entendre/Ecouter
Ce texte est le resultat d' échange d'E mail à l' occasion d' une exposition intitulée "Entendre/Ecouter", organisée par un groupe d' étudiants en Histoire de l' Art à l' Université Libre de Bruxelles ( 2008).Maureen Hayez m' a contacté par l' intermediaire de Dunja Hersak ,chargée de cours à l' Université Libre de Bruxelles.Une partie de ce texte est publiée dans le catalogue de l' exposition.
Les termes « entendre » et « écouter » sont-ils clairs ou confus pour vous ?
- Ces termes vous renvoient-ils à certains souvenirs, impressions ou émotions ?
- Ce thème vous parait intéressant ? Vous plait-il ?
Pour quelqu’un comme moi, ayant le statut d’« étranger » à la langue française les termes « Entendre » et « Ecouter » sont clairs si on les prend dans le sens des dictionnaires. Les dictionnaires sont faits pour préserver la clarté de la langue, sauf que les mots vivent leurs destin, hors des dictionnaires, dans les malentendus de la vie. Enfin, pour limiter les dégats, j’entends le terme
« Entendre » dans le sens de comprendre, percevoir, saisir par l’intelligence..
Je comprends le terme « Ecouter » dans le sens de recevoir ou accueillir ou suivre. Je pense qu’ il y a un lien avec la notion de la temporalité , du tempo. Si j’étais musicien ou danseur , ou même conteur je me sentirai à l’ aise avec ce thème « Entendre / Ecouter ». Mais je ne suis qu’un faiseur d’ images. Je travaille avec mes yeux et mes mains et mes moyens matériels, mes outils déterminent ma méthodologie. Mon implication dans la logique de la fabrication visuelle m’éloigne de ce qui ne passe pas par l’ œil et la main. Le terme « examiner »(ou bien regarder) en chinois s’écrit en associant le pictogramme de la main avec celui de l’œil pour signifier regarder avec la main ou toucher avec les yeux. Dommage ( pour moi) que votre proposition n’ ait pas été « Regarder/voir ».
Ceci étant dit, il reste l’ exposition comme cadre relationnel indépendant, comme un espace où vous posez des objets à l’intention d’un public. Cette action , l’exposition, qui se situe dans un espace concret, dispose de sa propre souveraineté.
Elle évolue selon des règles autres que les règles selon lesquelles vous avez défini le concept philosophique de l’ exposition. Dans ce malentendu « bien entendu » j’ entends profiter de la brèche entre ce que vous dites ( les mots) et ce que vous faites ( les actions) pour insérer (en « contrebandier ») mon travail d’artiste faiseur d’images. Si je propose de contourner les mots (Ecouter / entendre) pour aller au concret ( l’ exposition) c’est par ce que au delà de nos deux propositions opposées, il y a le public, des gens. Des gens qui viennent dans un lieu d’exposition et qui agissent selon des règles autres.
Quand vous me demandez :
« Comment pensez-vous, arriver à exprimer visuellement ce thème ? », cette question me met dans une position embarrassante car vous supposez que l’ artiste est là en attente des propositions d’un organisateur souverain dans ce territoire mal défini qui se nomme l’exposition. Il me semble que l’espace de l’exposition n’appartient pas exclusivement au commissaire (qu’est ce qu’un commissaire d’exposition ?). C’est un espace commun négocié et partagé entre le commissaire, l’artiste et le public. Bien entendu, lors d’une exposition collective, la figure du commissaire devient plus centrale ( et peut être plus importante) que celle de chacun des artistes. Son statut d’initiateur et d’organisateur lui donne la possibilité de manipuler les œuvres des artistes - voire de manipuler les artistes – et d’encadrer le regard du public selon un « agenda » politique peu – ou pas –accepté par les artistes.
Les expositions collectives mettent en cause la singularité de l’artiste même lorsque les artistes invités consentent à jouer le jeu des concepteurs de l’exposition.
Pour répondre à votre question je ne sais pas comment j’arriverais à exprimer virtuellement le thème d’« Ecouter/Entendre ». Je propose simplement mon travail d’artiste impliqué dans le monde, ou , si vous voulez , à l’« écoute » du monde et je compte sur l’ intelligence de la réception du public. Est-ce une bonne réponse ?
Hassan Musa
11 Novembre 2008
Maureen Hayez 2
Questions
- Quelle est votre propre interprétation de « Who needs bananas for Ethiopia » en ne tenant pas compte du thème de notre exposition ?
Comme vous pouvez le constater, après ce que je vous ai raconté sur
« entendre – écouter » il m’est difficile de ne pas tenir compte du thème de votre exposition .
Mon image intitulée « Who needs Bananas in Ethiopia ? » fait partie d’ une série d’ images sur le thème de Joséphine Baker. Je vous soumets , à cette occasion une réponse à une question que Kerstin Pinter ( curator de l’ l’exposition Black Paris 2006) m’ avait posée au sujet de Joséphine Baker :
« .. Je vois Joséphine Baker comme une chorégraphe américaine (traduisez :chorégraphe européenne), qui a réussi à construire tout un répertoire remarquable de chorégraphies primitivistes. Chorégraphies qu’elle présentait, sur les scènes européennes, comme danse « africaine ». Mais Joséphine Baker n’était pas seulement une chorégraphe, c’était également une Américaine noire qui a trouvé réfuge en Europe après avoir expérimenté la misère et la brutalité du racisme américain du début du XXème siècle. Cependant quand on examine la nature de l’accueil que les Européens lui ont réservé, on constate le même rejet raciste, mais exprimé de manière autre, un racisme subtil et biaisé qui a fait d’elle la représentante d’une sexualité primitiviste débridée et diabolique à la fois, une sexualité noire capable d’assouvir tous les fantasmes érotiques du mâle blanc, chrétien et dompteur du monde sauvage. Bref,c’était la femme idéale pour Indiana Jones ou pour Michel Leiris, jeune poète surréaliste égaré parmi les ethnologues et promoteur de l’ethno-esthétisme. Si Joséphine Baker est devenue un (sex )symbole chic de l’Afrique dans le Paris des années 20, ce n’est pas parce que elle était la seule « africaine » dans cette ville. Paris a , depuis toujours , connu les communautés noires d’Afrique ou des iles Caraïbes. Mais Joséphine était la femme noire qui se trouvait là, au bon moment et au bon endroit, au carrefour des grandes contradictions socio-culturelles de la société française d’entre deux guerres : Colonialisme, ethnologie, fascisme, surréalisme, primitivisme, Art Nègre , Charleston et robes courtes . Elle était l’arbre américain qui cache la forêt africaine. Proche des hommes de l’envergure de Michel Leiris, Picasso, Van Dongen, Hemingway , elle était dans toutes les aventures de l’élite parisienne. A cet égard, sa participation et celle du boxeur noir americain Al Brown, à l’ effort financier de la Mission ethnologique « Dakar Djibouti » sembla naturelle aux yeux de ses contemporains en tant que « Noire » qui aide « son » peuple d’un continent noir qu’ elle n’a pourtant jamais connu.
Je ne vois pas Joséphine Baker comme initiatrice de l’Artafricanisme mais comme un support matériel sur lequel des idéologues de l’ethno-esthétisme ont inscrit leurs projets. De son côté, Joséphine Baker, heureuse de la manipulation de son image de femme noire par l’élite négrophile de Paris (voir :The Josephine Baker story, Ean Wood, 2000) , a évolué sur les ornière du chemin des primitifs européens. Chemin sur lequel des artistes modernes ont laissé de remarquables repères : Paul Gauguin, deux décennies plus tôt, avait installé son primitivisme breton dans une forêt vierge tahitienne réaménagée au goût des Parisiens, quant à Picasso, son contemporain, il a combiné le primitivisme espagnol préféodal et l’ art négre sous le regard admiratif des Parisiens.( John Berger, Success & failure of Picasso, 1965). » Et en 1961, les Dadaïstes organisaient , à Paris, au Cabaret Voltaire, des soirées africaines inspirées des masques primitifs de Marcel Janco »(E.Wood, ). Je pense que la cage dans laquelle dansait et chantait Joséphine, déguisée en oiseau ou en femelle sauvage , n’ était pas simplement un décors de scène de Music hall. Cette cage représentait, dans l’esprit du public européen, une métaphore clé de la culture de domination qu’a engendreé la société capitaliste en Europe. En tant qu’ espace d’oppression et d’ordre où l’on peut classer et contenir les énergies et les êtres du monde « désordonné», la cage apparaissait comme la place approprié pour les Africains. Ce bricolage symbolique du racisme européen s’ appuyait sur toute une tradition d’exposition de « Village indigène » , qui , depuis la fin du XIXème siècle, représentait l’élément le plus constant des expositions universelles.(voir John MacKenzie, « Les expositions impériales en Grande-Bretagne » in Zoos humains , La Découverte, 2002).
Je pense que l’ Artafricanisme est une version contemporaine du « Village indigène » qui intégre les artistes africains en marge de la foire artistique « mainstreamiste ». Le dernier village indigène est itinérant, il se nomme « Africa Remix », il est habité par plus de quatre vingt artistes « africains » et ils s’appellent tous Joséphine Baker.
Si cela vous semble également être le cas, pouvez-vous énumérer quelques idées sur ce qu' entendre-ecouter évoque pour vous en regardant cette œuvre ?
- Quelle est la signification du titre « Who needs bananas for Ethiopia »?
Quand je dis : je suis à l’ écoute du monde cela engage toute ma vie.
Je pense que cette œuvre intégre ma démarche existentielle , en tant qu’être et partenaire social concerné par le destin du monde.Cette œuvre qui fait partie d’ une série , dont « Qui a besoin de bananes au Vietnam ? », est d’ abord une image de propagande politique. J’y tente une dénonciation des choses qui ne me plaisent pas comme l’ exclusion sociale que subissent les Africains (et nombre de non-Européens). Quand je qualifie mon image d’ image de propagande j’entends « propagande » dans le sens religieux du terme « pour propager la foi » , ma foi d’artiste attaché à cette idée simple ((ou « folle » ?) que le monde est réparable avec de la bonne volonté.
Mais, au-delà du discours politique, c’est aussi un effort d’apporter le fruit de ma recherche artistique au monde de l’art. J’entends le monde des artistes peintres qui pensent la vie ( et la mort) des images , mais aussi le monde du public concerné par l’ usage des images.
- Trouvez-vous que le thème « entendre-écouter » peut s'adapter à un exposition réunissant des artistes africains ? Pourquoi ?
Le thème « Entendre- Ecouter » pEUt s’adapter à tout. C’est une question d’ interprétation. Mais votre catégorie « artistes africains » me semble peu claire. Comment définir les artistes africains ?
(Voir mon texte « Qui a inventé les Africains ? » dans Les Temps Modernes, Aout 2002)
- Pourquoi avez-vous accepté de participer à cette exposition ?
L’ exposition est un espace où diverses choses contradictoires arrivent en même temps. Cela s’ explique peut être par la diversité d’ intérêt des partenaires qui s’y impliquent: Les commissaires, les artistes et le public. Bien que je me sois toujours méfié des manifestations organisées autour de l’ art africain contemporain, cela ne m’ a jamais empêché d’ y prêter attention.
Je vois les expositions d’ art africain contemporain comme un espace d’action politique qui ne dit pas son nom. Dans cette perspective votre exposition ne fait pas exception et je suis content que vous m’ y ayez invité.
Je pense que, dans le monde contemporain, du moment où l’on qualifie une action quelconque d’ « africaine », on entre de plein pied dans le terrain de la politique africaine, car la situation de la misère actuelle des Africains n’est pas isolée de la géopolitique de la mondialisation. Une géopolitique dont les Européens( et les Américains) portent une grande responsabilité. Est ce pour cela que la majorité des manifestations artistiques qui se définissent comme « africaines » sont initiées et financées par les Européens pour un public européen ?
Agir en mécène de l’art africain contemporain est devenu une façon élégante, mais également bon marché, d’entrer en politique africaine.
Il suffit de regarder les documents et catalogues des grandes expositions européennes d’art africain pour voir qui finance ces manifestations, pourquoi et à quel prix ?.
Une bonne illustration est donnée par Thierry Desmarest, l’ex- Président-Directeur Général de Total, qui s’est vanté d’avoir réalisé douze milliards d’Euros de profit en une année. Pour cette « Quatrième compagnie pétrolière mondiale, qui vampirise les ressources des Africains. Total a –selon les termes de T. Desmarest dans sa préface pour le catalogue français d’Africa Remix –un engagement fort et ancien depuis près de soixante- dix ans pour l’ Afrique. Implanté dans plus d’une quarantaine de pays africains, dans l’exploration-production-distribution des produits pétroliers, le groupe se doit de connaître et comprendre les communautés qui l’accueillent et être particulièrement attentif à leurs spécificités culturelles, sociales et économiques » .
Je ne sais pas combien de dispensaires et combien d’écoles on peut construire en Afrique avec un milliard d’Euros, mais il est scandaleux que les responsables de Total , qui se prétendent attentifs aux spécificités sociales et économiques des communautés africaines qui les accueillent , ne contribuent pas de manière significative au développement des pays africains. Mais Total n’est pas un cas isolé, les Africains savent que les véritables guerres dites « ethniques » en Afrique se passent entre les grands « groupes ethniques » de la mondialisation economique, comme les groupes Shell, Esso, Nestlé, Lipton, IBM, Microsoft Nike, Adidas, Orange etc.
Mais une fois exprimées mes critiques à l’égard des investisseurs qui ne veulent pas investir dans le développement social et économique de l’Afrique, qu’est-ce qu’on fait ?
En fait , on constate que les grands mécènes des entreprises multinationales préferent témoigner leur attachement au continent africain en aidant les artistes africains à exposer leurs créations aux Européens. Cet effort de mécénat bon marché se traduit par un retour médiatique et politique positif et offre aux multinationales une conscience tranquille à l’égard de la réalité africaine.Vous voulez savoir que faire face à une telle situation ? Il n’y a rien à faire sauf peut être à appliquer ce proverbe « africain »( de mon invention) : « Il ne faut pas mépriser une peau de banane lorsque on n’ a rien d’ autre ».
- Avez-vous quelque chose de spécial à raconter concernant cette œuvre ? Une anecdote, un état d'esprit, un souvenir,… ?
Méfiez- vous des bananes !
« ..Pour illustrer la complexité de la situation de l'artiste africain contemporain je ne trouve pas mieux que ce conte africain qui se passe à une époque de grande famine (Toutes les époques sont des époques de grande famine en Afrique).
C'est l'histoire d'un homme affamé errant dans la brousse, à la recherche de quoi se nourrir. Au détour d'un chemin, l'homme trouve le reste d'un régime de bananes. Il le ramasse avec beaucoup de joie en rendant grace à Dieu. Pendant qu'il mange, notre homme tombe sur une banane abimée. Il la jette par terre en disant : "Elle est toute pourrie, je ne vais pas la manger!" et il continue son chemin.
Le lendemain, un autre affamé qui prend le même chemin, tombe sur la banane pourrie que le premier a jetée la veille. Il pousse un cri de joie : "Oh! Une banane!".
Il la ramasse, la nettoie, l'épluche, jette la peau et savoure cette nourriture divine.
Le surlendemain, un troisième affamé - celui là c'est un artiste africain!- qui prend le même chemin, tombe sur la peau de banane. Il pousse un grand cri de joie :"Oh une peau de banane!".Il ramasse la peau pourrie tendrement, la nettoie et la mange en remerciant Dieu de lui avoir sauvé la vie.
En effet, cette « peau de banane» de mécénat européen de l’art africain est sûrement très insuffisante, mais c’est la seule nourriture que « nous » avons eu jusqu’à maintenant. Quand je dis « nous », j’entends cette catégorie – par défaut – d’artistes contemporains extra-européens que l’art contemporain des Européens ne tolère qu’en tant que parias, qu’en tant qu’exclus maintenus dans une sorte de « réserve indienne » qui se nomme « art africain » ou « art oriental » ou « art musulman » etc.. ».
Hassan MUSA
16 Novembre 2008
Questions
- Quelle est votre propre interprétation de « Who needs bananas for Ethiopia » en ne tenant pas compte du thème de notre exposition ?
Comme vous pouvez le constater, après ce que je vous ai raconté sur
« entendre – écouter » il m’est difficile de ne pas tenir compte du thème de votre exposition .
Mon image intitulée « Who needs Bananas in Ethiopia ? » fait partie d’ une série d’ images sur le thème de Joséphine Baker. Je vous soumets , à cette occasion une réponse à une question que Kerstin Pinter ( curator de l’ l’exposition Black Paris 2006) m’ avait posée au sujet de Joséphine Baker :
« .. Je vois Joséphine Baker comme une chorégraphe américaine (traduisez :chorégraphe européenne), qui a réussi à construire tout un répertoire remarquable de chorégraphies primitivistes. Chorégraphies qu’elle présentait, sur les scènes européennes, comme danse « africaine ». Mais Joséphine Baker n’était pas seulement une chorégraphe, c’était également une Américaine noire qui a trouvé réfuge en Europe après avoir expérimenté la misère et la brutalité du racisme américain du début du XXème siècle. Cependant quand on examine la nature de l’accueil que les Européens lui ont réservé, on constate le même rejet raciste, mais exprimé de manière autre, un racisme subtil et biaisé qui a fait d’elle la représentante d’une sexualité primitiviste débridée et diabolique à la fois, une sexualité noire capable d’assouvir tous les fantasmes érotiques du mâle blanc, chrétien et dompteur du monde sauvage. Bref,c’était la femme idéale pour Indiana Jones ou pour Michel Leiris, jeune poète surréaliste égaré parmi les ethnologues et promoteur de l’ethno-esthétisme. Si Joséphine Baker est devenue un (sex )symbole chic de l’Afrique dans le Paris des années 20, ce n’est pas parce que elle était la seule « africaine » dans cette ville. Paris a , depuis toujours , connu les communautés noires d’Afrique ou des iles Caraïbes. Mais Joséphine était la femme noire qui se trouvait là, au bon moment et au bon endroit, au carrefour des grandes contradictions socio-culturelles de la société française d’entre deux guerres : Colonialisme, ethnologie, fascisme, surréalisme, primitivisme, Art Nègre , Charleston et robes courtes . Elle était l’arbre américain qui cache la forêt africaine. Proche des hommes de l’envergure de Michel Leiris, Picasso, Van Dongen, Hemingway , elle était dans toutes les aventures de l’élite parisienne. A cet égard, sa participation et celle du boxeur noir americain Al Brown, à l’ effort financier de la Mission ethnologique « Dakar Djibouti » sembla naturelle aux yeux de ses contemporains en tant que « Noire » qui aide « son » peuple d’un continent noir qu’ elle n’a pourtant jamais connu.
Je ne vois pas Joséphine Baker comme initiatrice de l’Artafricanisme mais comme un support matériel sur lequel des idéologues de l’ethno-esthétisme ont inscrit leurs projets. De son côté, Joséphine Baker, heureuse de la manipulation de son image de femme noire par l’élite négrophile de Paris (voir :The Josephine Baker story, Ean Wood, 2000) , a évolué sur les ornière du chemin des primitifs européens. Chemin sur lequel des artistes modernes ont laissé de remarquables repères : Paul Gauguin, deux décennies plus tôt, avait installé son primitivisme breton dans une forêt vierge tahitienne réaménagée au goût des Parisiens, quant à Picasso, son contemporain, il a combiné le primitivisme espagnol préféodal et l’ art négre sous le regard admiratif des Parisiens.( John Berger, Success & failure of Picasso, 1965). » Et en 1961, les Dadaïstes organisaient , à Paris, au Cabaret Voltaire, des soirées africaines inspirées des masques primitifs de Marcel Janco »(E.Wood, ). Je pense que la cage dans laquelle dansait et chantait Joséphine, déguisée en oiseau ou en femelle sauvage , n’ était pas simplement un décors de scène de Music hall. Cette cage représentait, dans l’esprit du public européen, une métaphore clé de la culture de domination qu’a engendreé la société capitaliste en Europe. En tant qu’ espace d’oppression et d’ordre où l’on peut classer et contenir les énergies et les êtres du monde « désordonné», la cage apparaissait comme la place approprié pour les Africains. Ce bricolage symbolique du racisme européen s’ appuyait sur toute une tradition d’exposition de « Village indigène » , qui , depuis la fin du XIXème siècle, représentait l’élément le plus constant des expositions universelles.(voir John MacKenzie, « Les expositions impériales en Grande-Bretagne » in Zoos humains , La Découverte, 2002).
Je pense que l’ Artafricanisme est une version contemporaine du « Village indigène » qui intégre les artistes africains en marge de la foire artistique « mainstreamiste ». Le dernier village indigène est itinérant, il se nomme « Africa Remix », il est habité par plus de quatre vingt artistes « africains » et ils s’appellent tous Joséphine Baker.
Si cela vous semble également être le cas, pouvez-vous énumérer quelques idées sur ce qu' entendre-ecouter évoque pour vous en regardant cette œuvre ?
- Quelle est la signification du titre « Who needs bananas for Ethiopia »?
Quand je dis : je suis à l’ écoute du monde cela engage toute ma vie.
Je pense que cette œuvre intégre ma démarche existentielle , en tant qu’être et partenaire social concerné par le destin du monde.Cette œuvre qui fait partie d’ une série , dont « Qui a besoin de bananes au Vietnam ? », est d’ abord une image de propagande politique. J’y tente une dénonciation des choses qui ne me plaisent pas comme l’ exclusion sociale que subissent les Africains (et nombre de non-Européens). Quand je qualifie mon image d’ image de propagande j’entends « propagande » dans le sens religieux du terme « pour propager la foi » , ma foi d’artiste attaché à cette idée simple ((ou « folle » ?) que le monde est réparable avec de la bonne volonté.
Mais, au-delà du discours politique, c’est aussi un effort d’apporter le fruit de ma recherche artistique au monde de l’art. J’entends le monde des artistes peintres qui pensent la vie ( et la mort) des images , mais aussi le monde du public concerné par l’ usage des images.
- Trouvez-vous que le thème « entendre-écouter » peut s'adapter à un exposition réunissant des artistes africains ? Pourquoi ?
Le thème « Entendre- Ecouter » pEUt s’adapter à tout. C’est une question d’ interprétation. Mais votre catégorie « artistes africains » me semble peu claire. Comment définir les artistes africains ?
(Voir mon texte « Qui a inventé les Africains ? » dans Les Temps Modernes, Aout 2002)
- Pourquoi avez-vous accepté de participer à cette exposition ?
L’ exposition est un espace où diverses choses contradictoires arrivent en même temps. Cela s’ explique peut être par la diversité d’ intérêt des partenaires qui s’y impliquent: Les commissaires, les artistes et le public. Bien que je me sois toujours méfié des manifestations organisées autour de l’ art africain contemporain, cela ne m’ a jamais empêché d’ y prêter attention.
Je vois les expositions d’ art africain contemporain comme un espace d’action politique qui ne dit pas son nom. Dans cette perspective votre exposition ne fait pas exception et je suis content que vous m’ y ayez invité.
Je pense que, dans le monde contemporain, du moment où l’on qualifie une action quelconque d’ « africaine », on entre de plein pied dans le terrain de la politique africaine, car la situation de la misère actuelle des Africains n’est pas isolée de la géopolitique de la mondialisation. Une géopolitique dont les Européens( et les Américains) portent une grande responsabilité. Est ce pour cela que la majorité des manifestations artistiques qui se définissent comme « africaines » sont initiées et financées par les Européens pour un public européen ?
Agir en mécène de l’art africain contemporain est devenu une façon élégante, mais également bon marché, d’entrer en politique africaine.
Il suffit de regarder les documents et catalogues des grandes expositions européennes d’art africain pour voir qui finance ces manifestations, pourquoi et à quel prix ?.
Une bonne illustration est donnée par Thierry Desmarest, l’ex- Président-Directeur Général de Total, qui s’est vanté d’avoir réalisé douze milliards d’Euros de profit en une année. Pour cette « Quatrième compagnie pétrolière mondiale, qui vampirise les ressources des Africains. Total a –selon les termes de T. Desmarest dans sa préface pour le catalogue français d’Africa Remix –un engagement fort et ancien depuis près de soixante- dix ans pour l’ Afrique. Implanté dans plus d’une quarantaine de pays africains, dans l’exploration-production-distribution des produits pétroliers, le groupe se doit de connaître et comprendre les communautés qui l’accueillent et être particulièrement attentif à leurs spécificités culturelles, sociales et économiques » .
Je ne sais pas combien de dispensaires et combien d’écoles on peut construire en Afrique avec un milliard d’Euros, mais il est scandaleux que les responsables de Total , qui se prétendent attentifs aux spécificités sociales et économiques des communautés africaines qui les accueillent , ne contribuent pas de manière significative au développement des pays africains. Mais Total n’est pas un cas isolé, les Africains savent que les véritables guerres dites « ethniques » en Afrique se passent entre les grands « groupes ethniques » de la mondialisation economique, comme les groupes Shell, Esso, Nestlé, Lipton, IBM, Microsoft Nike, Adidas, Orange etc.
Mais une fois exprimées mes critiques à l’égard des investisseurs qui ne veulent pas investir dans le développement social et économique de l’Afrique, qu’est-ce qu’on fait ?
En fait , on constate que les grands mécènes des entreprises multinationales préferent témoigner leur attachement au continent africain en aidant les artistes africains à exposer leurs créations aux Européens. Cet effort de mécénat bon marché se traduit par un retour médiatique et politique positif et offre aux multinationales une conscience tranquille à l’égard de la réalité africaine.Vous voulez savoir que faire face à une telle situation ? Il n’y a rien à faire sauf peut être à appliquer ce proverbe « africain »( de mon invention) : « Il ne faut pas mépriser une peau de banane lorsque on n’ a rien d’ autre ».
- Avez-vous quelque chose de spécial à raconter concernant cette œuvre ? Une anecdote, un état d'esprit, un souvenir,… ?
Méfiez- vous des bananes !
« ..Pour illustrer la complexité de la situation de l'artiste africain contemporain je ne trouve pas mieux que ce conte africain qui se passe à une époque de grande famine (Toutes les époques sont des époques de grande famine en Afrique).
C'est l'histoire d'un homme affamé errant dans la brousse, à la recherche de quoi se nourrir. Au détour d'un chemin, l'homme trouve le reste d'un régime de bananes. Il le ramasse avec beaucoup de joie en rendant grace à Dieu. Pendant qu'il mange, notre homme tombe sur une banane abimée. Il la jette par terre en disant : "Elle est toute pourrie, je ne vais pas la manger!" et il continue son chemin.
Le lendemain, un autre affamé qui prend le même chemin, tombe sur la banane pourrie que le premier a jetée la veille. Il pousse un cri de joie : "Oh! Une banane!".
Il la ramasse, la nettoie, l'épluche, jette la peau et savoure cette nourriture divine.
Le surlendemain, un troisième affamé - celui là c'est un artiste africain!- qui prend le même chemin, tombe sur la peau de banane. Il pousse un grand cri de joie :"Oh une peau de banane!".Il ramasse la peau pourrie tendrement, la nettoie et la mange en remerciant Dieu de lui avoir sauvé la vie.
En effet, cette « peau de banane» de mécénat européen de l’art africain est sûrement très insuffisante, mais c’est la seule nourriture que « nous » avons eu jusqu’à maintenant. Quand je dis « nous », j’entends cette catégorie – par défaut – d’artistes contemporains extra-européens que l’art contemporain des Européens ne tolère qu’en tant que parias, qu’en tant qu’exclus maintenus dans une sorte de « réserve indienne » qui se nomme « art africain » ou « art oriental » ou « art musulman » etc.. ».
Hassan MUSA
16 Novembre 2008