الجمعة، ١٠ تشرين الأول ٢٠٠٨

D'où viennent-elles?


D’où viennent mes Schéhrazade ?

La première fois que j’ai lu les Mille et Une Nuits, je me suis laissé prendre au piège des filles qui ont précédé Schéhrazade. Leurs cadavres accumulés à l’entrée du récit entravaient ma progression dans les nuits de Schéhrazade. J’ai toujours voulu signaler leur présence et raconter leurs histoires : des histoires de meurtres princiers restées dans une perpétuelle impunité littéraire. Ces filles, abusées par le consensus narratif qui sacrifie leurs singularités respectives en faveur des personnages principaux, sont trahies également par leur grande sœur rusée et ambiguë, Schéhrazade.
Car quand par la magie de la littérature, elle parvient à prendre le pouvoir sur le Sultan, elle oublie de rende justice à ses sœurs et ex-co-épouses assassinées arbitrairement par son époux, le Sultan. Schéhrazade préfère le bonheur conjugal oriental à l’égalité en droits et en devoirs des individus devant la loi. Elle permet à son criminel de mari d’accéder à la postérité littéraire dans une impunité totale. La morale de cette histoire est qu’elle est tout simplement immorale !
Alors qui peut raconter les Mille et Une Nuits aujourd’hui ?
Comment peut-on encore à raconter de telles histoires comme si la société qui les avait engendrées était restée immuable depuis la nuit des temps.
Le monde oriental des Mille et Une Nuits tel que les Occidentaux l’aiment, avec ses sultans, ses coupoles en bulbes et ses cavaliers enturbannés n’est qu’un scandaleux trompe-l’œil qui sert à cacher l’image interdite des sociétés musulmanes contemporaines. Sociétés qui sombrent dans l’interminable cauchemar du sous-développement, de la répression et (ou) de la guerre, du Maroc jusqu’à l’Afghanistan.
Dans cet immense monde musulman, de Samarcande à Bagdad, de Bagda à Damas, de Damas au Caire et du Caire à Tombouctou, la route des caravaniers des Mille et Une Nuits n’est plus praticable à cause des mines anti-personnel, des bombardements, des vrais et faux barrages militaires, des snipers …etc.
Les caravaniers eux-mêmes sont recyclés dans les milices et engagés dans les petites guerres saintes ethniques (entre l’ethnie Elf et l’ethnie Shell, par exemple).
La Schéhrazade qui émane de la société musulmane d’aujourd’hui, ne peut être qu’un véritable kamikaze, une « bombe humaine » . Une telle Schéhrazade peut semer la terreur, à parts égales, en orient et en Occident.
En pleine guerre du Golfe, quand les Schéhrazade saoudiennes ont manifesté pour revendiquer des droits élémentaires comme celui de conduire une voiture, les autorités saoudiennes les ont réprimées, elles et leurs familles. Or, les média du monde occidental qui étaient présent à ce moment là en Arabie Saoudite pour rendre compte de la guerre du Golfe, ont tourné le dos à ces femmes pour regarder les frappes chirurgicales sur Bagdad.
Aujourd’hui, tout le monde pleure sur le sort des Schéhrazade afghanes sous le régime Taliban. Mais demain, quand les Occidentaux et les Orientaux trouveront des Talibans « modérés », les femmes afghanes seront priées de tenir compte de l’exception culturelle afghane.
On l’a déjà vu en Algérie quand les hommes du régime FLN ont demandé aux femmes algériennes qui avaient participé à la guerre de Libération, de rentrer au foyer.
Peut-on raconter les Mille et Une Nuits sans penser à toutes ces Schéhrazade ?
L’Alphabet de Schehrazade représente une tentative de faire émerger le corps féminin du corps de la lettre arabe. Je pense que les signes graphiques de l’alphabet arabe ont, depuis longtemps, enfermé ces nus féminins derrière une lecture uni-dimensionnelle. Lire l’alphabet arabe, au delà du texte, comme un ensemble de traces visuelles ayant un sens, comme des images composées de noir et de blanc, m’a donné la possibilité d’y voir tout un univers habité, entre autre, par ces femmes qui ont précédé Schéhrazade. Si j’ai signalé la présence des sœurs de Schéhrazade avant les autres êtres qui peuplent l’espace entre le noir de l’encre et le blanc de la feuille, c’est qu’à un moment donné, ces images se sont imposées à mon regard et ont accaparé mon esprit de telle sorte que je ne pouvais que m’en occuper comme une priorité. Je voulais que tout le monde les voie !
Je les ai donc « révélées » en ajoutant au corps de la lettre calligraphiée quelques traits supplémentaires tout en essayant de ne pas oblitérer la lettre ni de supprimer la fonction de lecture textuelles. Mon ambition étant d’entraîner le lecteur à identifier la présence de ces corps féminins même dans les alphabets des autres calligraphies, voire dans toute trace écrite. Dans cette démarche, je parie sur la qualité de la trace offerte mais aussi sur l’intelligence du regard. Entre la trace et le regard se construit une passerelle offrant une lecture juste qui transcende le texte.
Hassan MUSA
Domessargues le 02/11/2001